Axslnyz, la planète des écrivains
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 Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup

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mogyuki
Kestrel21
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Kestrel21
Tit axslnyzien
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MessageSujet: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyDim 2 Avr - 15:15

Titre : On couche toujours avec des morts
Auteur : Kestrel21
Base : Original
Statut : Achevé
Genre : One-shot, dialogue, glauque, mention de yaoï.
Disclaimer : Les personnages m’appartiennent.

Plusieurs choses ont fait que cette histoire a été écrite mais c’est surtout les Malpolis que je remercie pour leur chanson « Petites horreurs » qui a été une grande source d’inspiration !


« - Je vais assassiner ma femme.
- … En quelle honneur ?
- Je n’ais pas besoin d’elle, elle est gênante.
- Gênante ? Pourquoi ? Vous avez des projets ?
- Oui.
- Ces projets sont donc si importants pour qu’ils nécessitent la mort de celle que vous aimez ?
- Je ne l’aime pas.
- Comment ? Mais pourtant, il m’avait semblé…
- Je suis bon comédien.
- Cinq ans à jouer la comédie de l’amour, je ne sais pas si beaucoup de gens auraient la force de caractère d’y parvenir, ne croyez-vous pas ?
- Je ne crois rien, il se trouve que moi, j’y parviens.
- Et elle, vous aime-t-elle ?
- Oui.
- Comment être sûr qu’elle ne porte pas un masque, elle aussi ?
- C’est impossible. »
Aucune nuance dans la voix calme.
« - Impossible ? Je ne vous savez pas si misogyne !
- Je ne suis pas misogyne.
- Alors pourquoi cette réflexion ?
- Je n’évoquais pas les femmes en général mais la mienne. Et je sais qu’elle est incapable de jouer la comédie.
- Se doute-t-elle que vous, vous êtes si doué pour cet art que vous la dupez depuis votre mariage ?
- Non.
- Je vous trouve encore une fois bien sûr de vous.
- Si elle le savait, elle ne m’aimerait plus et elle me quitterait.
- Cela n’arrangerait-t-il pas vos affaires ? De la faire fuir plutôt que de la tuer ? La première solution est la plus raisonnable, non ?
- Qu’est-ce que vous en savez ?
- Cela vous éviterait bien des tracas, croyez-moi.
- Parce que vous pensez vraiment que je serais stupide au point de laisser deviner que je suis son assassin ?
- Je ne vous juges pas, au contraire, je vous connais depuis suffisamment de temps pour savoir que vous disposez d’une intelligence peu commune. Mais il se trouve que le crime parfait n’existe pas, surtout de nos jours.
- Quel mal y aurait-il à le réinventer alors ?
- Cela me paraît compliqué, la technologie ne cesse d’innover, il est de plus en plus aisé de démasquer les criminels.
- Dans ce cas, comment expliquer que je ne sois pas en prison à cette heure-ci ?
- Que voulez-vous dire ?
- Si la police devient sans cesse plus performante, comment se fait-il que je sois là, en train de parler avec vous alors que je devrais me faire interroger et mettre sous les verrous par un policier ?
- Dois-je comprendre que votre femme n’était pas la première de la liste ?
- Vous êtes toujours aussi fin.
- Et, à votre avis, que dois-je penser de tout ceci ?
- Rien.
- Vous venez de m’avertir que je suis en présence d’un criminel en liberté qui s’apprête à récidiver en connaissance de cause, que voulez-vous que je dises ?
- Comment voulez-vous ne pas récidiver en connaissance de cause, je ne vous comprends pas.
- Les psychopathes disposent de circonstances atténuantes, c’est leur folie qui les pousse à de tels excès. »
L’autre parut amusé.
« - Pourtant, ne suis-je pas fou, moi ? Il me semble que c’est vous qui avez posé ce diagnostic plus d’une fois et que c’est pour cela que je passe mes jeudis après-midi en tête-à-tête avec vous depuis un an. »
Son interlocuteur ne perdit pourtant pas son aplomb.
« - Vous n’avez certes pas une santé mentale très stable mais jamais je n’aurais pensé que vous en viendriez là. Mais dites-moi, qui était la malheureuse victime ?
- Nous y voilà.
- Où donc ?
- Ne faites pas l’innocent.
- Je ne veux pas ça pour tenter de vous traduire en justice, si c’est à ça que vous pensez. Quand bien même, je le ferais pour cela, je doute qu’un procès s’ouvre sur un simple témoignage, qu’il vienne du meurtrier ou non, si vous voulez mon avis.
- Et si je n’en voulais pas ?
- Racontez-moi.
- Vous y tenez vraiment ?
- Oui.
- Bien. C’était ma sœur cadette.
- Votre sœur ?!
- Ne commencez pas déjà à m’interrompre.
- Excusez-moi mais je pense qu’il va m’être difficile de vous écouter sans réagir.
- Prenez sur vous.
- J’essayerais.
- Parfait. Je l’ais tué voilà quatre jours, dans son appartement, elle y était seule, mon
beau-frère n’était pas rentré.
- Etait-ce la première fois que vous vous retrouviez seuls ainsi ?
- Non, nous nous sommes toujours bien entendu, nous nous voyions régulièrement avant d’ailleurs.
- Alors pourquoi l’avoir tué ?
- J’étais tombé amoureux.
- Amoureux ? Et en quoi était-elle un obstacle ?
- Elle était trop proche de la personne que j’aimais. Je jugeais ça inadmissible.
- Inadmissible ?
- Oui. D’ailleurs, maintenant que j’y repense, je suis content de l’avoir fait.
- Ah, donc vous avez tout de même éprouvé des remords ?
- Non. Pas de l’avoir tué, j’ai fais ce qu’il fallait. Non, j’étais très malheureux parce que la personne que j’aimais ne me l’a pas pardonné.
- C’est étrange…
- Vous êtes ironique.
- Pas du tout.
- C’est faux. Cessez tout de suite, c’est agaçant. Mais sachez que sa rancune n’a pas duré longtemps, c’est pourquoi je suis ravi de l’avoir fait et que je songe à présent à me débarrasser de ma femme.
- Comment vous y êtes vous pris pour l’assassiner sans éveiller les soupçons.
- Personne ne sait que je lui ais rendu visite ce jour-là, à part la personne que j’aime, qui ne parlera pas, et ma femme.
- Je comprends mieux soudain...
- Vous m’agacez avec votre second degré.
- Pardonnez-moi.
- C’est bon pour cette fois. Mais la façon dont elle est morte semble vous intéresser dites-moi ?
- Oui, effectivement. Elle ne s’est donc pas méfiée ?
- Pensez-vous, elle est… Etait, je m’excuse, si stupide, si naïve. Je lui ais proposé de jouer à un jeu auquel nous nous adonnions fréquemment enfants. C’était le vampire et sa victime. Je suppose que vous êtes suffisamment intelligent pour deviner la suite.
- Au risque de baisser dans votre estime, je crains que non.
- Hum… Oui, c’est vrai. Bien que je n’ais que peu d’estime pour vous, c’est décevant. Mais tant pis. Elle s’est donc alanguie sur le divan de son salon tandis que moi, je prenais comme excuse mon travestissement en monstre pour prendre un couteau à viande dans sa cuisine. Je revins vers elle en le cachant sous ma cape noire et en exhibant férocement le dentier de vampire en plastique qu’elle avait conservé de l’époque. Elle riait de terreur comme une enfant. Je me suis penché sur sa gorge, répétant les gestes d’autrefois pour endormir sa méfiance et lui tranchait la carotide d’un coup net et sûr. Je me souviens encore du gargouillis apathique qui la secoua lorsqu’elle comprit ce qui se passait. Quelques secondes plus tard, elle était morte. Je lui ouvris alors les deux poignets, cela ajouterait au réalisme… Et bien qu’avez-vous, vous êtes tout blanc !
- …
- Voulez-vous que j’appelle un médecin ?
- … Non, non, allez-y, continuez…
- Si vous y tenez. J’avais heureusement eu la présence d’esprit de ne pas empoigner mon arme avec ma main, la tenant au travers de ma cape. Il était donc difficile d’y trouver mes empreintes digitales, si c’est à ça que vous pensez.
- … Vous avez raison.
- Je pouvais donc la laisser sans danger prés d’elle. Je la posais dans la main inerte de ma sœur et l’arme tomba sur le plancher. La mise en scène était parfaite. J’eus seulement préféré que son mari ne rentrât pas au moment où je rangeais soigneusement mon déguisement dans l’armoire.
- … Il a donc compris.
- Oui. Il n’avait pas vraiment besoin d’être devin et qui plus est, c’est un garçon intelligent.
- Et qu’avez-vous fait ?
- Je lui ais dit la vérité.
- Ne croyez-vous pas qu’il l’avait deviné seul ?
- Vous êtes parfois lent, mon pauvre ami. Ce n’est pas de cette vérité-là dont je vous parle.
- Laquelle alors ?
- La seule qui méritait d’être dite. Si j’avais tué ma sœur, c’était uniquement par amour pour lui.
- … Comment ?
- Les hypocrites de votre genre m’énervent. Vous avez parfaitement entendu, j’ai tué ma sœur parce que j’aimais son mari et savais pertinemment qu’elle n’était pas une femme pour lui. Et lui aussi le savait, au fond de lui-même.
- Et vous espériez le faire tomber dans vos bras en supprimant sa femme ?!
- Non, je voulais simplement qu’il soit heureux.
- Mais comment pouvait-il être heureux alors que vous veniez d’assassiner son épouse, bon sang ?!
- Ne vous énervez pas, voyons.
- Comment voulez-vous rester sans réagir face à une histoire pareille ?!
- Je lui ais assuré que la faute ne retomberait pas sur lui, que tout avait été orchestré pour faire croire à un suicide. Il paressait comme fou, il ne m’écoutait pas.
- Comme c’est étonnant…
- Vous jouez avec ma patience.
- Continuez. »
Mais malgré sa voix sans tonalité, l’angoisse commençait à se lire sur son visage de plus en plus pâle.
« - J’ai même cru un moment qu’il appellerait la police et qu’il me dénoncerait sur le champ, tant il paressait hors de lui.
- Je suis étonné qu’il ne l’ait pas fait…
- Taisez-vous. Il a pourtant appelé la police. Sa voix tremblait, il avait les larmes aux yeux, il était plus poignant et plus beau que jamais. Je le regardais de tous mes yeux, les bras ballants. Et lorsqu’il raccrocha, son regard était si haineux que je crus qu’il se précipiterait vers la porte pour la claquer, me garder prisonnier et me livrer aux policiers. Mais, au contraire, il l’ouvrit et m’ordonna de partir, vite, si je ne voulais pas être attrapé. Sa voix était glaciale mais mon cœur débordait de joie. C’était bien la preuve à mes yeux qu’il avait enfin compris, le premier choc passé, la valeur de mon geste. Je voulus l’embrasser, il me frappa. Je déguerpis et rentrais chez moi le nez en sang.
- …
- Pourquoi donc faites-vous cette tête ?
- Et vous me demandez pourquoi ?
- N’est-ce pas légitime de s’interroger ?
- Pas sur ceci.
- Pourquoi serait-ce permis sur tout et pas sur cela ?
- Parce que c’est évident ! Et vous êtes trop intelligent, je ne devrais pas avoir à vous l’expliquez !
- Soit.
- Et comment votre femme l’a-t-elle su alors ?
- Lorsque je suis rentré, elle s’est précipitée pour soigner mon nez. Elle se demanda avec inquiétude si ma sœur et moi ne nous étions pas battus. Je riais sous cape. C’était plus fort que moi, j’étais plus euphorique que jamais. Elle ne comprit pas mais, pendant le dîner, le téléphone sonna. Elle décrocha. Elle ne parla pas beaucoup, je n’entendais de ma place que le babillement brouillé et incompréhensible de la voix au bout du fil. Mais je voyais son visage se décomposer. Je n’avais pas peur, je savais de quoi il s’agissait. Et au bout d’un silence interminable, elle dit d’une voix blanche : « Non, non, laissez. Je le lui annoncerais moi-même. Merci pour tout. ». Elle raccrocha lentement et se tourna vers moi, je me retenais de rire. Elle m’annonça que la police venait d’appeler, que mon beau-frère avait retrouvé sa femme morte sur le canapé, baignant dans son sang, elle tenait prés d’elle l’arme dont elle s’était servie pour se trancher les veines, les empreintes digitales en témoignaient. Je partis alors d’un fou rire qui résonna dans toute la maison, j’en avais les larmes aux yeux, je manquais tomber de ma chaise, j’étais incapable de m’arrêter. Je crois qu’à cet instant, elle avait compris, elle avait compris que j’avais assassiné ma sœur et elle savait également pourquoi.
- Comment pouvait-elle le savoir ?
- Elle était là le jour où j’ai fais la connaissance de mon beau-frère, elle me connaissait suffisamment pour savoir ce qui se passait dans ma tête à ce moment-là. Je pense que j’ai toujours été sensible à la beauté masculine et il en est la plus belle représentation que j’ai jamais vu. Ça ne fait aucun doute, il n’y a pas un Apollon, pas un Adonis, pas un Ganymède, pas un Jonathan dont la beauté valait la sienne. Je l’ais instantanément désiré, si ce n’est aimé et de savoir qu’il était le mari de ma sœur était la plus douloureuse déconvenue que j’ai ressenti de ma vie. Mais à cette époque, l’idée de la tuer ne m’étais pas encore venu. Après tout, j’ai toujours beaucoup aimé ma petite sœur mais son arrivée bouleversait tout, tout ce en quoi je croyais.
- Comment votre femme l’a-t-elle appris alors ?
- J’y viens. Si elle ne le savait pas dés le début, elle l’a comprit le jour où j’ai forcé la main à un ami pour qu’il nous invite, ma sœur et moi, une journée chez lui. Il faisait chaud, je prétextais l’envie de me baigner dans sa piscine. Ma véritable raison était bien entendu d’enfin avoir l’occasion de le voir, sinon nu, en tenue légère et moulante. Il fallait que je vois son corps, je ne pouvais plus me contenter de l’imaginer. Et cela dépassa mes espérances d’ailleurs. Je ne pouvais m’empêcher de le fixer de tous mes yeux, je crois qu’à cette époque, je l’aimais déjà. Elle l’a comprit ce jour-là.
- Elle n’est donc pas si aveugle que vous sembliez le croire.
- Jamais je n’ais dit qu’elle était aveugle. Je la jugeais juste inapte à jouer la comédie, ce en quoi j’avais raison. Car par la suite, elle a été incapable de me cacher qu’elle savait.
- Vous êtes un salaud…
- Non. Je suis comme vous me désigniez. Fou. Je suis un fou doublé d’un amoureux, cela me rend donc deux fois plus dangereux selon vos critères.
- Laissez mes critères tranquilles, voulez-vous ? ! Et puis, l’amour n’excuse pas tout !
- Si vous aviez été amoureux une fois, une seule, vous ne diriez pas cela.
- J’aime ma femme !
- Je n’en crois pas un mot.
- Et moi je ne parviens pas à croire que la vôtre ait été suffisamment sotte pour ne pas vous dénoncer ! Quant à votre beau-frère, n’en parlons pas !
- Ne parlez pas de lui comme ça… Si ma femme ne l’a pas fait, c’est parce qu’elle m’aime et l’amour excuse tout. Quant à lui, lui aussi, il m’aime, et c’est la plus grande victoire de ma vie. L’être que j’élève au rang des anges m’aime, ou bien fait au moins semblant. Et le fait bien.
- Co… Comment pouvez-vous dire cela ?!!
- Contrairement à ma femme, il est assez intelligent pour maîtriser l’art du théâtre.
- Mais vous voulez dire que vous n’en êtes même pas certain ?!
- Son âme reste un tombeau, même pour moi.
- Comment a-t-il pu tomber amoureux de vous, c’est plutôt ça la vraie question !
- Cela ne se commande pas, probablement est-il en train de se poser cette question lui aussi. Mais si vous le voulez, je peux continuer. Plusieurs jours après la mort de ma sœur, je suis retourné le voir. Il a hésité à me laisser entrer.
- Il est heureux que vous ne vous en étonniez pas...
- J’ignore. Il semblait disposé à m’écouter alors je lui ais tout raconté, cette rencontre qui avait changé ma vie, comme je l’avais aimé, comme je l’avais désiré, au point de vouloir tuer ma sœur qui jusque là ne m’avait pourtant posé aucun ennui. Je l’ais remercié de ne pas m’avoir dénoncé. Il m’a avoué ne pas comprendre ce qui l’avait poussé à me permettre de m’en sortir. Il semblait si perdu, si peu sûr de lui à cet instant que j’ai à tout prix voulu le consoler, je ne voulais plus voir cette expression sur son visage. Il ne m’a pas repoussé. Je l’ais emmené jusqu’à son lit, là, il m’a laissé lui faire l’amour. Pardonnez-moi de vous passer les détails quant à ces heures qui furent les plus heureuses de ma vie.


Dernière édition par le Sam 30 Sep - 12:56, édité 1 fois
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Kestrel21
Tit axslnyzien
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyDim 2 Avr - 15:16

- Vous voyez que vous ne dédaignez pas l’ironie finalement. Quant au fait qu’il se soit laissé faire si facilement, j’en doute. Pour ma part, je suis persuadé que vous n’avez pas hésité à le violer.
- Et bien gardez votre part pour vous ! »
Il s’était levé, avait serré les poings et ses yeux lançaient des éclairs de colère.
« - Allons… Calmez-vous, je vous en prie… !
- Il fallait y penser avant, vous ne croyez pas ?
- Je m’excuse, je suis vraiment désolé, croyez-moi !
- Je n’ais plus envie de vous croire ! Sauf pour une chose. Je suis fou, vous êtes psychanalyste, nous étions destinés à nous rencontrer. Pendant un an, vous me l’avez sans cesse répété : psychopathe, paranoïaque, schizophrène, de toute façon, cas incurable… Je le suis peut-être mais pas assez pour violer l’unique personne pour qui je ferais tout, au risque de la perdre. Mais puisque je le suis, pourquoi ne pas en profiter… ? »
Les yeux du docteur s’agrandirent d’effroi.
« - Vous… Non, vous n’allez pas faire ça !!
- Vous ne m’en croyez pas capable, même après tout ce que je viens de vous raconter ?!
- Je sais de quoi vous êtes capable, je sais aussi que vous n’êtes pas incurable, vous vous trompez !
- Cessez ce jeu, docteur, il ne m’amuse pas ! Je vous vois venir, dans un instant, vous m’assurerez la main sur la Bible que je ne suis pas fou !
- Mais… ! N’approchez pas !!
- Pourquoi ne me servirais-je pas de l’impunité que m’offre la folie, à supposer que l’on ait des preuves contre moi bien sûr… Mais je crois que vous avez raison, le crime parfait n’existe pas…
- Arrêtez ! Non ! Lâchez-moi !!
- Non, laissez-moi vous montrer… »
Le saisissant par les cheveux, il le fit se baisser de force et fit s’entrechoquer sa tête contre sa table de travail, le docteur s’affaissa sans un bruit.
Enjambant le corps inerte du psychanalyste, il ouvrit la porte et s’exclama, des sanglots dans la voix :
« - Le docteur est mort ! Venez-vite, le docteur est mort !! »
La jeune secrétaire leva aussitôt les yeux de son dossier et se précipita dans l’antre du professeur.
Quant à lui, il songea que personne n’irait enquêter sur la mort d’un éminent professeur en psychologie alors que, dans un accès de colère, il avait glissé et était mort en se cognant la tempe contre le coin de son bureau.
Un accident est si vite arrivé…


Fin…


Commencé et terminé le 9 août 2005.


Dernière édition par le Mar 4 Avr - 17:45, édité 1 fois
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mogyuki
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyLun 3 Avr - 0:32

Excellent!!!! J'adore!!!!
Ce dialogue est terriblement bien ecrit, l'histoire est tres prenante, et en plus on peut imaginer la fin que l'on veut...
Bref, j'en redemande!!!!
Encore, encore, encore!!!
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Mogyoda
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyLun 3 Avr - 11:32

j'avoue ne pas être friande de texte où il n'y a que des dialogues, mais celui-là ¤_¤ il est prenant, la tension monte peu à peu, j'arrive bien à imaginer le psy paniqué et le mec froid et calme en face qui lui raconte comment il tue sa soeur...
bravo
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Kestrel21
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyLun 3 Avr - 20:59

Merci beaucoup pour vos commentaires!!!
K21
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Onyx
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 5 Avr - 20:09

Gé-nial. Absolument MA-GNI-FI-QUE. Un vrai chef d'oeuvre, je n'en revient toujours pas (c'est pour ça d'ailleurs que j'ai pas mis de commentaires hystériques comme je le fais dans mon état normal^^). Je suis sous le charme, c'est vraiment bien écrit, le partis pris de privilégier les dialogues permet d'imaginer la scène, et la conversation - complétement logique, et en même temps totalement irrascionnelle - est à mourir de rire (c'est le cas de le dire^^). J'adore l'humour grinçant et amer du texte. Mais... tu n'aurais pas plutôt du le mettre dans la section "Oneshots" ?
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 5 Avr - 20:36

le mettre dans la section "one-shot"... oui, sans doute^^, surtout que je n'écris pour le moment que des histoires à chapitre unique... tu as sans doute raison mais bon, j'ai commencé à les mettre ici alors bon^^
merci en tout cas de ton commentaire!
K21 Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup 129d
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MessageSujet: Querido Enrique (yaoï)   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Avr - 15:36

Titre : Querido Enrique
Auteur : Kestrel21
Statut : Achevé.
Genre : Epistolaire, yaoï.
Résumé : La longue lettre de Pedro à son amant Enrique. Le décryptage d’une existence.
Disclaimer : Les personnages m’appartiennent. Pas d’utilisation prolongée sans accord de l’auteur.

Histoire écrite sous le co-influence du superbe film de L. Cuerda, La langue des papillons, et des Liaisons dangereuses, de Laclos.

A toutes mes lectrices d'Axslnyz!

« Les morts, ce sont les cœurs qui t’aimaient autrefois. »


Victor Hugo



N****, ce 18 novembre 1940,

Cher Enrique…


Tu ne t’attendais pas à recevoir une lettre de moi, n’est-ce pas ?
Tu te demandes sans doute pourquoi tu tiens ce papier entre tes mains, comme si l’imbécile que je suis avait besoin de cela pour pouvoir te parler.
En cela, tu te trompes. Tu t’es souvent mépris sur mon compte et comment puis-je t’en vouloir ?
Après tout, si je m’ingénies depuis bientôt deux ans à paraître ce que je ne suis pas, c’est parce que la vie et personnalité que l’on s’invente est tellement plus séduisante…
C’est pour cela que je t’envois cette lettre car c’est uniquement ainsi que je peux m’exprimer librement face à toi.
Et bien qu’au moment où j’écris ces mots, ton visage s’inscrive devant mes yeux, que tu es si présent dans ma mémoire que j’ai l’impression de t’avoir face à moi, tout ce que je garde enfoui sortira librement.
Pourquoi donc m’inflige-je ça ? Cet aveu qui me montre désormais tel que je suis réellement, si loin du personnage que tu crois connaître, cet aveu qui fait que jamais plus je ne pourrais reparaître devant toi…
Je pensais pouvoir atteindre le bonheur total, la félicité suprême et voilà que ma stupide conscience m’a soudain rattrapé. Dire que je la croyais envolée, depuis cette nuit de 1939…
Peut-être en seras-tu attristé mais voilà, à moins d’une extraordinaire circonstance, nous ne nous reverrons plus jamais.
Tu comprendras bien assez tôt ce qui m’a poussé à fuir et je le sais, toi qui a toujours été si sanguin, si fougueux, je devine à l’avance les sentiments qui t’agiteront à l’issu de ta lecture.
Il y a cependant une chose que j’ignore, c’est si mon départ te chagrinera…
Sans doute un peu, j’imagine. Tu seras attristé pou moi, toi qui a toujours été si gentil. Mais tu le seras surtout, non pour moi mais pour la dernière personne qui te raccrochait à ton passé, la dernière barrière qui t’empêchait de mourir à petit feu.

Il fut un temps où l’idée d’être la seule chose capable de te garder dans le monde des vivants me remplissait d’orgueil et de fierté. Comme cela me paraît loin à présent que je n’éprouve plus que dégoût et haine pour moi-même.
Tous ces mots doivent te paraître bien sibyllins mais tu sauras bientôt tout et, pour cela, je vais te raconter mon histoire.
J’imagine d’ici tes sourcils se froncer. Mais voyons, mon histoire, tu la connais, elle fait même partie de toi, de ta propre vie.
Quelque part, tu as raison, tu connais mon histoire, tu connais ce que tout le monde en sait, la version officielle, si j’ose dire.
Non, ce que je vais te conter à présent, il s’agit de l’envers du décor, tout cela vécu par un insignifiant acteur du quotidien, un figurant. C’est l’histoire vue par mes yeux.
Mais avant de commencer, je voudrais juste que tu saches une chose, une chose que tu sais déjà mais que tu n’as sans doute jamais comprise à sa juste valeur, car malgré l’acharnement que j’ai mis à te la répéter, aucun mot ne pourra jamais l’exprimer réellement.
Je veux que tu lises ceci autant de fois que possible, que tu t’en pénètres avec tes sens, non plus avec ta raison : Je t’aime, Enrique, je n’ais jamais aimé que toi, et ce depuis notre rencontre à Madrid en 1937.
Cette année que tu m’as permis de passer avec toi fut la plus belle de mon existence misérable et je pourrais mourir de regrets que de l’écourter ainsi, mais je ne pouvais plus continuer.
Il arrive un moment où même le plus doué et le plus résistant des acteurs se retrouve prisonnier, ne sait plus ce qu’il est et perd pied. C’est ce qui m’est arrivé, j’ai découvert avec horreur que je n’ais jamais cessé de mentir, à toi, ma raison de vivre, autant qu’à moi-même.
Ce soir, j’ai enfin pu laisser tomber mon masque, je peux enfin être sincère. Je pensais que cela me libérerait enfin de ce fardeau, je constate avec amertume que ça ne fait que l’alourdir davantage.
Mais à présent, je ne peux plus reculer.
Commençons par le commencement, à savoir à ma naissance, à Valladolid. J’étais le cadet de la famille, venu derrière un frère de un an mon aîné.
Il ne fait aucun doute que tu devines à présent quelle est la personne au centre de cette histoire. Et sans doute m’en veux-tu déjà de raviver ta douleur par sa simple évocation.
J’en suis désolé mais c’est nécessaire, je vais ici tout te raconter, dans les moindres détails, comme si tu ne savais rien de moi.
Et surtout afin que tu comprennes que le centre de mon existence n’a jamais été que vous deux.
J’ai toute ma vie été quelqu’un d’effacé, de terne de caractère, on se désintéressait de moi très rapidement, je n’ais jamais eu beaucoup d’amis, j’ai toujours été très seul.
Il n’est pas rare dans les familles que le second enfant soit l’exact opposé du premier, c’est même fréquent mais cela ne fut sans doute jamais aussi visible qu’entre Antonio et moi.
Nous n’avions pourtant qu’une seule année de différence mais peut-être que dix nous auraient davantage rapproché.
Il était en effet mon exact contraire, il était tout ce que je n’étais pas, mieux, tout ce que j’aurais tant voulu être.
Personne ne s’y est d’ailleurs jamais trompé, on désertait toujours très vite ma compagnie pour celle de mon frère aîné.
Nous étions assez semblables physiquement, personne au premier coup d’œil ne pouvait mettre en doute notre appartenance à la même fratrie.
Mais lui rayonnait, irradiait de la joie, de l’insolence, de la vie en un mot tandis que je m’assombrissais, engoncé dans mon mal-être et ma timidité.
Il allait vers les autre aussi spontanément que l’on venait vers lui, cette sorte de lumière qui émanait de son être le rendait attirant et irrésistible, autant que mon effacement me faisait paraître laid et peu attrayant.
Il avait toujours eu la préférence inconsciente de nos parents, qui avaient très tôt pris l’habitude de le consulter lorsqu’une décision était à prendre car il était toujours sincère, autant avec les autres qu’avec lui-même. Il osait se prononcer pour ou contre et défendre son opinion alors qu’écrasé, je ne pouvais émettre que de timides « oui, oui » dans l’espoir de les contenter.
A l’école, les professeurs portaient au pinacle ses capacités et son ardeur au travail, autant qu’ils me rabaissaient, m’exhortaient à croire davantage en moi, se décourageaient ensuite, persuadés de ne rien pouvoir tirer de ce garçon muet.
Il n’y avait pas à Valladolid un garçon qui n’ait pas été un jour l’ami d’Antonio, pas une fille qui n’ait un jour désiré l’avoir pour prince charmant.
On ne se lassait pas de s’étonner de notre lien de parenté, comment était-il possible que deux êtres aussi différents aient pu sortir du même ventre ? Mais on n’hésitait pas à s’en servir.
Ainsi, des jeunes filles folles amoureuses de mon frère acceptèrent de coucher avec moi dans le seul but de le rendre jaloux, elles espéraient être remarquées par lui en se promenant à mon bras, pitoyables tentatives rarement vouées à la réussite.
Antonio était certes loin d’être parfait, il avait même de gros défauts mais c’était justement ce qui le rendait si humain, si accessible, donc si admirable.
Car il existait, plus que n’importe qui d’autre. Ce simple verbe avait pour moi une signification extraordinaire.
Je me souviens que durant mon enfance, j’éprouvais pour mon frère une admiration sans limite malgré le fait que je sois sans cesse comparé à lui. C’est à l’adolescence que mes sentiments se gâtèrent, je supportais de moins en moins sa supériorité en tout point, sa victoire écrasante sur moi, je me mis à le détester en silence, à maudire cette simple année qui nous séparait.
J’étais persuadé que c’était le destin mais que cela aurait pu être à moi de naître le premier, à moi de susciter tout ce qu’Antonio faisait éprouver à nos contemporains, cette admiration, cet engouement, cette convoitise, tout cet amour. Tout ce qui m’était refusé.
Et pourtant, lorsque je le voyais, c’était plus fort que moi, j’étais pris d’hébétude, comme si je contemplais un être superbe au delà du naturel, c’était les restes de la dévotion de mon enfance à ce dieu venu pour me faire vivre l’enfer.
En 1931, j’avais 21 ans, Antonio en avait 22, il fut de ceux qui huèrent Primo de Rivera lorsqu’il s’exila hors d’Espagne, laissant le champ libre à la toute nouvelle République.
Le pays était en effervescence, ma famille ne cachait plus désormais ses convictions républicaines, mon père et mon frère devinrent membres du parti, ma mère ne se lassait pas de contempler la petite carte de papier distribuée aux femmes dans tout le pays, cette petite carte qui lui permettrait enfin de se rendre aux urnes.
Quant à moi, identique à mon personnage, je ne fis rien de si remarquable, j’avais fini par comprendre que je pouvais faire n’importe quoi, j’étais si insignifiant que cela passerait inaperçu. J’optais donc pour l’oisiveté, elle me seyait comme un gant.
Mais tout cela ne pouvait pas durer, une menace se profilait, venue tout droit du Maroc (1), les tensions montèrent, montèrent. En 36, la guerre éclata.
Mes parents nous exhortèrent à nous engager dans l’armée républicaine, Antonio partit le premier rejoindre le cantonnement de Saragosse, en zone républicaine, je restais indécis.
Ou plutôt non, car si j’ignorais ce que je voulais, je savais exactement ce que je ne voulais pas. Je ne voulais pas assister aux triomphes militaires de mon frère contre les fascistes, je sentais qu’il me serait insupportable de le voir sortir victorieux des batailles perdues d’avance, d’être acclamé par les soldats.
J’en venais secrètement à espérer que la guerre nous le prendrait, j’en venais à désirer ne plus jamais le revoir.
Depuis le départ d’Antonio, ma situation à Valladolid était chaque jour plus détestable, mes parents me haïssaient silencieusement de ne pas être au front, à veiller sur leur fils et sur la république, ils avaient honte de moi, comme tout le monde dans notre quartier. Je n’osais plus guère sortir dans la rue, on me saluait à peine, on marmonnait dans mon dos.
C’était certes dur pour moi mais je préférais cela au front, ici j’étais à l’abri des bombes, des fusillades et des exploits guerriers d’Antonio, j’aurais sans doute pu attendre ainsi jusqu’à la fin de la guerre.
Mais il se passa quelque chose qui mit fin à ma jachère et précipita mon départ, il y eut perquisition des franquistes dans notre quartier, mon père et cinq de nos voisins, trahis par leur carte d’adhérant au parti républicain que même la guerre n’avait pu retirer de leurs poches, furent emmenés sans ménagement.
Ma mère et moi, de sortie, échappâmes à la rafle, à mon retour, je la trouvais en larmes dans la maison mise à sac.
Nous apprîmes deux jours plus tard leur fusillade.
Il n’était plus question pour moi de rester les bras croisés, je promis à ma mère de venger mon père et partis pour Saragosse.
C’était en avril 1937, une année et un mois qui allaient être déterminants pour mon existence à venir.
Je fus envoyé sur un petit village non loin de Madrid, un « point chaud » aux dires des officiers. Lorsque je demandais qui se trouvait déjà là-bas en cas d’attaque ennemie, on me montra une liste brouillonne où figuraient une trentaine de noms.
Parmi eux, celui d’Antonio.
Je n’avais d’autre choix que de m’y rendre et je maudissais déjà ma malchance, de toute la ligne de front, il avait fallu que je tombas à l’endroit où se trouvait celui que je haïssais.
Je n’avais jamais réellement cru en Dieu mais je croyais en la chance, en la Destinée, à la vie tracée d’avance.
Voilà encore une chose qui me différenciait de mon frère, moi, convaincu que les dés étaient jetés depuis ma naissance, je me laissais emporter par les évènements comme par un fleuve en furie, inerte et placide.
Antonio, lui n’hésitait pas à prendre le taureau par les cornes pour renverser la situation, il avait bien en main les rênes de sa vie et ne les aurait abandonné pour rien au monde.
Et à personne, du moins le croyais-je.
Sur place, mon frère m’accueillit comme on accueille un ami, j’essayais de montrer autant de chaleur que possible, il me présenta aux autres membres de l’unité, qui deux heures plus tard avaient déjà oublié mon prénom.
Car comme tout ceux que j’avais côtoyé dans ma vie, ils n’avaient d’yeux que pour Antonio.
Celui-ci fut désespéré d’apprendre la nouvelle de la mort de notre père mais il me jura bien vite qu’il ferait en sorte que l’auteur de nos jours ne soit pas mort pour rien. Je le crûs sur parole.

A partir de maintenant, Enrique, l’histoire que je vais te raconter, elle est aussi la tienne.

Car en effet, tu arrivas à notre petit camp à peine trois jours après moi, le 26 avril 1937, jour du bombardement de Guernica même si nous ne devions l’apprendre que deux ans plus tard.
Etait-ce un signe ? Je l’ais toujours pensé. Quoi qu’il en soit, cette date est restée gravée en moi et signifiera pour toujours le véritable commencement de ma vie.
Tu étais portugais, arrivé de Porto, tu parlais un espagnol approximatif, ton regard était celui d’un enfant abandonné, si loin du regard habituel que l’ont prête aux soldats.
Tu avais 23 ans, tu en paressais 19, le fusil que l’on te donna, tu le manipulais comme le font les petits enfants face à un nouveau jouet, à la fois perplexe et émerveillé, le faisant tourner entre tes mains pataudes.
Et pourtant, tu nous surpassas tous à l’exercice de tir de précision du lendemain.
Dés le début, je compris que tu serais quelqu’un de spécial pour moi, bien que je ne devinais pas encore de quelle manière.
Et voici encore une preuve que le lien que je partageais avec Antonio était étroit, en te voyant, il le comprit aussi.
Il t’aimerait. Ou il ne serait pas.
Il alla vers toi avec le naturel que je lui connaissais, bien qu’avec une réserve que je ne m’étais pas attendu à lui trouver, comme si tu l’impressionnais et lui faisait enfin découvrir ce qu’était la timidité.
Il mit très peu de temps à gagner ta confiance puis, très vite, ta sympathie.
Je n’observais pas cela d’un très bon œil. Peut-être penses-tu qu’après une vie passée auprès de lui, j’aurais dû être habitué à voir mon frère me voler les affections qui auraient pu m’être destinées.
Non, lui comme toi, vous n’avez jamais su ce qu’était la vraie solitude. Toi qui est ouvert, rieur, spontané, si beau, toi qui t’es infiltré dans tant de cœurs et qui y a pris une place prépondérante, non, tu ignores que personne ne peut s’habituer à cela.
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Avr - 15:37

Et c’est ce qui m’est arrivé, à ton insu comme à la mienne, tu t’es répandu en moi comme un poison violent, comme une mauvaise herbe envahissant un verger bien entretenu et le faisant par là même fourmiller de vie. C’était ce poison qui me paralysait à ton approche, qui faisait cogner mon cœur, divaguer mes yeux et ma tête, comme un alcool fort.
Et malgré mes 26 années de vie, j’étais novice en la matière, je ne savais comment m’y prendre. C’était la première fois que je désirais quelqu’un, je ne voulais pas laisser passer cette chance et plus que jamais, je maudissais mon appréhension, mon effacement que je ne parvenais pas à vaincre, la peur qui me tordait les tripes lorsqu’il m’arrivait de te parler.

Mais, plus que tout, je maudissais Antonio au point de désirer sa mort, Antonio qui s’était proposé pour t’aider à pratiquer l’espagnol, Antonio avec qui tu ne tardas pas à te découvrir des goûts communs, ce qui alimentait vos conversations jusque tard dans la nuit.
Des conversations dont j’étais bien entendu exclu, ce qui me rendait fou de rage.
Je compris durant cette période que la haine n’avait pas de limite, et que lorsqu’il s’y ajoutait une jalousie aussi incendiaire que celle que j’éprouvais, l’embrasement était général.

Le meilleur moyen pour se faire remarquer en ces temps-là étaient les exploits guerriers et j’aurais tant aimé avoir le courage de briller à tes yeux mais la guerre m’avait rendu encore plus peureux et lâche qu’à l’ordinaire. Je cauchemardais en songeant au spectre des bombardements, aux mines, aux mercenaires, aux balles perdues, je sursautais au moindre bruit, à la moindre odeur de poudre amenée par le vent, la vue du sang me coupait les jambes.
D’autant qu’à part sans doute celles de la Grande Guerre sans doute, jamais batailles ne furent plus stériles que celles que nous menions, notre armement était dérisoire comparé à celui dont disposait l’ennemi, la ligne de front ne cessait de se mouvoir tout en restant étrangement statique.
Un kilomètre reprit aux fascistes n’était jamais gagné quand, le lendemain, 50 mètres ne nous appartenaient déjà plus.
J’appris qu’au Portugal, pris par les fascistes avant même que Manuel Azaña ne proclame la République, tu t’étais distingué par tes qualités d’espion, tu partais donc souvent en mission de reconnaissance, la nuit et toujours seul.
Je me souviens de l’énervement qui gagnait Antonio chaque fois que tu quittais le camp, il ne tenait pas en place et il me fallait déployer des trésors d’imagination pour le calmer, ce qui avait l’avantage de masquer ma propre inquiétude.
C’est un soir où nous attendions ton retour que le barrage céda, mon frère m’avoua qu’il n’envisageait plus de vivre sans ton retour d’amour, lui qui depuis ton arrivée se consumait pour toi.
Je serrais les dents au point de m’en faire mal, je devinais que les sentiments qui t’agitaient n’étaient pas si différents de ceux éprouvés par Antonio, il ne faisait aucun doute que tu l’attendais, qu’au premier mot de lui, tu tomberais dans ses bras, comme tant d’autres avant toi.
Antonio était fermement décidé à agir, il se mit à te faire la cour avec une ardeur de noyé.

Bien entendu, il y avait la guerre, qui ne semblait jamais vouloir s’arrêter mais l’amour s’accommode des guerres. J’en venais même à penser qu’il n’en était que renforcé par la perspective d’être tué à tout moment, quel meilleur moyen de rendre chaque instant, heureux ou malheureux, inoubliable ?
Il y avait également les autres mais il fait croire que la guerre (encore elle) rende aveugle ou au contraire, élargisse les esprits. Personne ne fut là pour vous faire la moindre remarque, à peine quelques paroles méprisantes échangées derrière votre dos, pour les plus obtus.
Deux camarades de camp qui prenaient ensemble leur plaisir, on en avait vu d’autres après tout, personne ne soupçonna qu’il y eut pu y avoir de l’amour derrière tout cela.
Car ce qui était interdit en temps normal, fustigé, était ici toléré, ignoré.
L’amour entre hommes était même une chose beaucoup plus courante en ces temps-là que certains n’auraient osé l’avouer. Car, bien que constatant qu’elle manquait cruellement de bras, l’armée républicaine avait autorisé l’enrôlement féminin, les femmes restaient largement minoritaires.
Il ne restait donc plus qu’à se rabattre sur les « moyens du bord », comme le disait le lieutenant Arturo, qui ne s’en privait d’ailleurs pas et dont le fantasme faisait partie de l’escouade venue d’URSS.
Ce n’était d’ailleurs un secret pour personne et pourtant, il eut préféré mourir que d’avouer de vive voix qu’il aurait été capable d’abandonner sa femme pour ce petit soviétique.
Mais je digresse car en réalité, très peu de gens pouvaient se vanter d’être au courant, Antonio et toi étiez la discrétion même. Au point qu’il m’arrivait moi-même de douter et, je l’avoue, d’espérer que j’avais imaginé tout cela.
Le retour à la réalité n’en était que plus dur.

J’imagine que tout cela doit te paraître étrange, n’est-ce pas, ce soudain retournement… Oui, car tu étais persuadé que j’étais tombé sous ton charme lors de nos retrouvailles à la frontière française, en 1939, car c’est ce que j’ai toujours désiré que tu t’imagines.
Mais tout cela est fini à présent, je ne te dis que la stricte vérité et peut-être commences-tu à comprendre, sans doute me hais-tu…
De raviver en toi le souvenir de ton amour avec mon frère, ce souvenir qui te fait tant souffrir et auquel tu te rattaches pourtant avec obstination, comme un naufragé à la planche de son salut.
Alors qu’entre ces lignes, j’évoque votre idylle et mon cri silencieux, ma soif incommensurable de toi, alors que je repense à toutes ces fois où j’ai assisté en espion à vos veillées nocturnes, à ces nombreux moments où, seul mais avec toi en pensée, je t’ais fait l’amour par procuration…
Ces années de guerre furent les pires de ma vie et pourtant, ce sont elles qui lui ont donné tout son sens, toute sa substance.
Ce sont elles qui m’ont façonné, fait de moi ce que je suis, bien que je n’en sois pas fier.
Lorsque je repense à mon état d’esprit d’alors, je comprends que, si l’ensemble de ma vie n’avait pas été garante de ma stabilité mentale, il m’avait tout de même été possible de vivre normalement.
A présent, j’en suis certain, je suis devenu complètement fou.
Personne ne peut ressortir indemne d’une guerre, quelle qu’elle soit, physiquement comme mentalement, on n’est plus jamais le même après cela. Pense à ta jambe, pense à ton torse, à ton épaule.
Pense à la blessure de ton cœur, qui, contrairement aux autres, ne cicatrisera jamais.
Et moi, en plus de ma main, j’y ais perdu mon esprit. J’ai sombré.
Peut-être est-ce cela qui me poussa à faire ce que j’ai fais…
Te souviens-tu de ce moment qui fut une rupture à tout jamais pour toi ? Ce jour maudit de 1939, si proche de la fin de la guerre lorsque j’y pense… Notre escouade avait été envoyé se battre sur le front Est, à Valence, le dernier bastion de la république. Madrid avait été déclaré « ville prise » quelques jours plus tôt.
Te souviens-tu de cette embuscade où nous sommes tous tombés ? Piège d’autant plus imprévisible que notre attaque elle-même aurait dû désarçonner nos adversaires. Elle avait été préparée la veille dans le plus grand secret et pourtant, les chemises bleues nous y attendaient.
A vingt contre cinquante, nous n’avions aucune chance, huit furent tués sur le champ, cinq blessés et constitués prisonniers.
Parmi eux, Antonio.
Même moi, c’est tellement paradoxal, je ne peux repenser à ce moment sans souffrir.
Mon frère avait voulu te protéger, deux balles l’avaient cueilli, l’atteignant à l’épaule et à la jambe, il s’était écroulé comme un château de cartes.
Profitant de la confusion, une poignée d’entre nous parvinrent à s’enfuir et, miracle, personne ne nous poursuivit.
Nous savions tous que les prisonniers, s’ils ne succombaient pas à leur blessures dans la nuit, seraient fusillés le lendemain matin, sans autre forme de procès.
Sans même être interrogés, car après tout, que pouvions-nous encore leur apprendre ? La guerre était déjà gagnée pour eux.
Tu fus à l’origine du projet suicidaire qui suivit et tu n’eus aucun mal à convaincre même les plus récalcitrants.
Je ne t’avais jamais vu ainsi, aussi obstiné, aussi agressif, aussi désespéré. Tu savais où les franquistes emprisonnaient leur butin de guerre, un ancien hangar d’aviation désaffecté.
Et sans doute cette opération aurait-elle été un succès, libérer nos camarades eut pu être notre plus grande victoire, à nous qui avions déjà perdu.
Nous parvîmes à les sortir de ce guêpier, notre plan était clair, il leur fallait fuir tandis que nous neutralisions la garde postée à cette occasion.
Je sais que le souvenir que tu gardes de cette nuit est flou, la seule chose que tu ne pourras jamais effacer de ton esprit, c’est ce moment où, retournant sur tes pas pour t’assurer que les prisonniers étaient en sécurité, tu tombas sur une scène que tu n’aurais jamais dû voir.
Tu eus la vision d’un corps étendu sur le sol, face contre terre, un corps que tu n’eus aucun mal à identifier, tant tu en connaissais la moindre parcelle, tant tu l’avais de si nombreuses fois serré contre toi.
Et une silhouette voûtée et assombrie qui s’enfuyait si rapidement que tu ne la reconnus pas.

Antonio aurait pu vivre, que dis-je, il aurait dû vivre et pourtant, les marques bleutées autour de son cou et cette fosse rouge dans sa poitrine témoignaient qu’il était trop tard.
Cette forme humaine que tu avais à peine eu le temps de voir disparaître, tu aurais dû la reconnaître, car elle était au fond si semblable à celle qui gisait sur le sol…

Voilà, c’est cela que je t’ais toujours caché, ce que j’aurais aimé ne voir jamais resurgir, que j’avais à jamais crû disparu.
Cette silhouette, c’était la mienne, ces empreintes qui marquaient la chair d’Antonio, c’étaient celles de mes mains, la balle qui l’a transpercé sortait de mon fusil.
Tout cela est de mon fait, uniquement, c’est à moi que tu dois cette maudite embuscade qui aurait déjà dû coûter la vie à mon frère.
Etrange d’ailleurs que la possibilité d’une trahison n’ait effleuré personne, alors que cette attaque avait été si minutieusement préparée, dans la discrétion même et où pourtant, nous étions attendus, pris au piège.
Cela ne t’as donc jamais paru étonnant que, malgré leur supériorité numérique, une poignée d’entre nous ait pu fuir le champ de bataille ? Sans être poursuivi ?
L’homme est par nature soupçonneux, surtout lorsque les circonstances jouent trop en sa faveur, cela ne peut que laisser présager que quelque chose de prépare, quelque chose de pire encore.
Sans doute as-tu eu cette intuition et pourtant, ta résolution, ton amour pour Antonio étaient beaucoup trop forts pour que tu ne tentes pas de le sauver.
Et moi, moi qui quelques nuits plutôt avait traversé le champ de notre future défaite jusqu’aux lignes ennemies, un linge blanc en main que j’agitais devant moi, pour révéler sans remord ce que nous avions mis tant d’énergie à préparer, je t’ais suivi pour tenter de sauver celui dont j’avais organisé la mort.
Oui, réellement organisé. J’étais allé jusqu’à demander qu’en échange de mes informations, ils me laissent partir sans chercher à me poursuivre, moi et quelques autres, j’étais ainsi certain que tu sois épargné.
J’aurais voulu ne pouvoir sauver que toi mais cela devait demeurer crédible, ou moi seul, ou au moins quatre miraculés…
Je t’avais désiré éperdu de gratitude envers moi mais tu ne pensais qu’a Antonio.
Et dire que j’avais même donné aux franquistes son signalement tant je voulais être sûr d’être débarrassé de lui, « un homme avec un foulard rouge autour du cou », celui-là même qui ne le quittait plus depuis qu’il l’avait reçu de tes mains.
Antonio ne fut pas tué durant la bataille, comme je l’avais demandé, on préféra pour lui la fusillade publique à la mort glorieuse sur le champ de bataille, comme si l’on estimait que son prestige était déjà trop grand.
Mais le faire prisonnier, c’était presque une provocation pour toi.
Et malgré tout, malgré tout ce que j’avais fait, j’ai poussé l’hypocrisie jusqu’à te suivre sans hésiter pour délivrer celui que j’avais mis tant d’énergie à anéantir.
Alors qu’il ne faisait aucun doute pour moi que tu réussirais, que le lendemain mon frère serait à nouveau parmi nous, la barrière infranchissable qui me séparait de toi.
C’est cette pensée sans doute qui me fit demeurer sur le chemin prévu pour la fuite des prisonniers, au lieu d’être à l’avant à vous prêter main forte.
Des cinq, il n’en restait plus que trois, les deux autres étaient morts des suites de leurs blessures dans la soirée.
C’est ici que je me retrouvais seul avec Antonio pour la dernière fois de mon existence.
Je le vis arriver, je le reconnus malgré l’obscurité, il boitait, semblait devoir s’effondrer à chaque pas.
Son visage s’illumina lorsqu’il me vit, venu à son secours, il voyait enfin le bout du tunnel, il semblait alors l’homme le plus heureux du monde.
Ce bonheur me fit un mal indicible. Comme si j’allais mourir, je vis ma vie défiler face à moi, ma vie passée à l’ombre de mon frère victorieux, je revis ton visage…
Aucune parole ne fut échangée, je l’étreignis comme seul peut le faire un frère, je passais mes mains autour de son cou, naturellement, comme si j’avais toute ma vie attendu ce moment, au point de le répéter afin que tout soit parfait.
Il se débattit, bien entendu, non, il ne voulait pas mourir, pas tant que tu serais là, à l’attendre !
Mais il était beaucoup trop affaibli, je le maîtrisais sans problème, moi qui de ma vie n’avait jamais eu le dessus lors de nos corps à corps.
Il ne fut pas long à cesser tout mouvement, je finis par le sentir contre moi aussi mou qu’une poupée de chiffon. Alors, j’armais mon fusil et lui décochais une balle dans la poitrine, deux précautions valant mieux qu’une.
C’est à l’issu de ce coup de feu que j’entendis des pas, j’eus à peine le temps de t’entrevoir que je courrais déjà.
Tu me remarquas à peine, tu n’avais d’yeux que pour le corps inerte qui gisait sur le sol.
Quant à moi, je n’eus qu’un instant d’hésitation, je rebroussais chemin, manœuvrait de façon à arriver par la voie que tu avais emprunté quelques instants plus tôt.
Je feignis remarquablement l’état de choc, la tristesse que seule peut provoquer la perte d’un parent.
Tu étais éteint, prostré, comme vidé, aussi indifférent à ma présence qu’à ma logorrhée.
C’est ici que j’ai commencé à jouer le rôle que tu me connais, le cadavre sous mes yeux me rendait indifférent, comme si je le voyais pour le première fois, et surtout comme si je n’avais rien à me reprocher quant à sa mort.
Et tu étais là. Je me sentais alors plus léger qu’un souffle, je voulus te prendre dans mes bras, dans une fausse tentative de consolation, tu semblas soudain revenir à la vie, tu me repoussas avec violence, tu partis en courant, tu me laissas vide.
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Avr - 15:38

Les effets peuvent avoir des causes tout à fait inattendues. Comme si la mort d’Antonio sonnait le glas de la république, Franco devint maître de l’Espagne toute entière.
Un mois plus tard, c’était la débâcle, des familles entières fidèles à la république désormais enterrée se jetaient sur les routes pour échapper aux persécutions du régime, en gagnant la France.
Je fus parmi elles, je passais des avis de recherche pour tenter de retrouver ma mère, ils se perdirent parmi des milliers d’autres déplorant la perte d’un père, d’une sœur, d’un ami…
Je ne t’avais plus revu depuis cette fameuse nuit et j’avais l’intuition atroce de t’avoir perdu à jamais, je ne pouvais plus me débarrasser de cet horrible goût de bile qui envahissait ma bouche chaque fois que je pensais à toi.
La mémoire est pourvue d’étonnantes facultés d’adaptation, j’avais pour ainsi dire, oublié Antonio, à plus forte raison son meurtre et ma trahison aux valeurs que j’avais jadis chéri.
Je ne pensais plus qu’à toi, j’étais malade d’amour, malade de peur à l’idée de ne plus jamais te revoir, la guerre et toi m’aviez laissé brisé, je n’étais guère plus qu’un spectre errant, pâle reflet de mon passé.
Lorsque j’atteignis enfin la frontière, après des jours de marche dans le froid des Pyrénées, le fil que je croyais rompu se renoua. Au milieu de tout ces gens transis de froid et affamés, je ne vis que toi, adossé contre un arbre, les yeux vers le ciel comme si tu priais, amaigri et épuisé mais tel que dans mon souvenir.
Cette fois, je n’eus aucune hésitation, je me dirigeais vers toi et lorsque tu me reconnus, je vis que ton regard avait changé.
Jusque là, tu ne m’avais guère regardé que comme un camarade de combat, le fait que je sois le frère d’Antonio n’y changeait rien. Ce que je vis dans tes yeux me transporta, j’y vis une lueur d’espoir.
Je m’aperçus que n’était pas moi que tu reconnaissais, tu ne voyais qu’Antonio.
Mais je m’en fichais comme d’une guigne, je compris que grâce à cela, j’allais me faire aimer de toi. Et peu m’importait le prix à payer.
Nous passâmes la frontière ensemble, nous fûmes entassés dans des camps de fortune, la nuit venue, je te rejoignis dans ton lit et tu ne me repoussas pas.
La suite, je ne la raconterais pas, tu la connais trop bien. L’Espagne était trop peu sûre pour d’ex-soldats républicains, nous décidâmes de rester en France, tu m’acceptas à tes côtés, j’en étais fou de joie.
Probablement cela aurait pu continuer si le souvenir de ce qui me valait ce bonheur ne m’avait pas rattrapé.

J’envie cette belle capacité d’aveuglement que peuvent développer certaines personnes. Ainsi j’aurais pu me persuader que tu m’as réellement aimé, non pour l’image de mon frère mais pour moi-même et je n’aurais pas eu cette boule de poison au fond du ventre.
Car jamais tu ne m’as vu, jamais tu n’as accepté la mort d’Antonio et nos retrouvailles étaient au fond la meilleure chose qui pouvait t’arriver, tu parvenais à te persuader que tout n’était pas perdu.
J’imagine que tu as pensé que je ne me suis jamais aperçu de rien, tu te trompes, je ne suis pas aussi aveugle que tu sembles le croire. Lorsque les yeux d’un être aimé reflète votre image, personne ne peut s’y tromper. En moi, tu n’as jamais vu qu’Antonio et sans doute la représentation n’était-elle pas en tout point parfaite…
Est-ce pour cela que jamais tu ne m’as regardé en face lorsque nous faisions l’amour ?

J’aimerais te dire que je ne regrette pas d’avoir tué mon frère, sans doute serait-ce une manière de me venger de toi et pourtant, j’en suis incapable.
Car au fond, et l’avouer me fait un mal innommable, Antonio n’avait jamais eu le moindre sentiment négatif à mon égard.
Il a même toujours été si gentil, lorsque nous étions enfants, il lui arrivait fréquemment de me défendre contre les grosses brutes de l’école, il a souvent refusé de sortir avec ses amis pour pouvoir rester avec moi, pour ne pas me laisser seul.
Et j’en oublis bien entendu. C’est cela qui me fait le plus mal à présent.
Lui m’a toujours aimé, plus que n’importe qui d’autre, là où mes parents avaient honte de moi, il me soutenait sans arrière-pensée, il a toujours été là pour moi, sans doute ne m’aurait-il pas révélé l’amour qu’il te portait s’il ne m’avait pas jugé digne de confiance.
Et moi, coupable imbécile, je le détestais en silence, j’ai été jusqu’à le tuer.

Je ne sais pas s’il me le pardonnera un jour, où qu’il soit…

Et toi, toi Enrique, toi mon seul amour, me pardonneras-tu ?

Que ressens-tu à cet instant, en lisant ces mots qui m’accablent ? Tes mains se crispent sans doute au point de déchirer ce papier, peut-être des larmes de rage coulent-elles sur tes joues, peut-être sens-tu monter en toi un désir de meurtre…

Nous y voilà… Voilà l’extraordinaire circonstance dont je te parlais quelques pages plus haut.
Voilà peut-être l’unique raison qui te poussera peut-être à venir me trouver, alors que je te suis devenu ignoble, immonde, infâme, que je me suis pour toujours damné à tes yeux.

Je t’écris cette lettre d’une petite chambre d’hôtel miteuse à deux rues de notre maison, la 208, au 9 rue M*****. Sans doute devines-tu pourquoi tous ces détails, sans doute désires-tu soudain saisir cette chance inouïe de décharger ta colère sur le coupable qui a réduit ta vie en miettes.
J’en rêve d’avance, quelle meilleure fin aurais-je pu espérer ?

Sache, Enrique, que j’ai toujours désiré que tu sois heureux.
La seule chose que je regrette, c’est que ton bonheur ait été si incompatible avec l’idée que je m’en faisais…

Chambre 208, n’oublie pas. Viens, je t’attends.

A toi, pour toujours,

Pedro.



Fin.


Review ? Par hasard... ?

Notes :

(1) C’est de là que Franco lança ses troupes (le Maroc était alors sous protectorat espagnol).
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Avr - 21:46

Comme tous tes textes, celui ci est magnifique!!!
Encore une fois bien ancré dans un lieu et une periode precise, et avec des personnages tellement vivants qu'on est tout de suite plongés dans l'histoire...
Je ne sais pas comment tu fais pour ecrire a chaque fois tes histoire sur un style different, mais le recit epistolaire rend vraiment tres bien

Encore bravo, et vivement le suivant ^^
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Avr - 22:14

un grand merci (*mwoua* gros bizou!)
ravie que cette histoire t'ait plus, j'étais pas trés sûre de mon coup (mais bon, je le suis jamais). oui, j'essaye toujours de changer à la fois de cadre et de style d'écriture et cette histoire m'a permis de réunir toutes mes envies du moment: d'écrire sur la guerre civile, une lettre et une rivalité entre deux frères. et faire le POV d'un homme qu'on ne sait pas si on doit le haïr ou l'aimer. et du yaoï mais bon ça, ça change pas!
encore merci!
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MessageSujet: Les amours décomposés (yaoï)   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 5 Juil - 23:14

Titre : Les amours décomposés
Auteur : Kestrel21
Statut : One-shot.
Genre : Dialogue, yaoï, poème-fic peut-être… ? Et lemon, pourquoi pas ?^^
Disclaimer : Personnages m’appartenant. Moi pas me faire fric avec pour autant. Baudelaire n’appartient qu’à lui-même et ces poèmes lui appartiennent.

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme
Ce beau matin d’été si doux
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux.

Baudelaire, « Une charogne »


Alentours de Paris, 12 mai 1863


« - Et bien, je ne m’attendais pas à vous trouvez ici.
- Et je me demande encore ce que j’y fais, j’avoue…
- Par pitié, ne prenez pas un ton si sarcastique ! Je suis en ce qui me concerne ravi de voir que vous avez accepté mon invitation.
- Le contraire eut été étonnant.
- Quoi donc ? Ah, c’est vrai qu’il vous aurait été difficile de résister à l’envie de me voir !
- Ha ha. Non. J’aurais pour ma part été étonné si n’aviez pas été content de me voir arriver.
- Qu’en savez-vous ? Si ça se trouve, j’enrage intérieurement à l’idée de passer plusieurs heures en votre compagnie.
- Dans ce cas, votre intériorisation est aussi remarquable que votre esprit de contradiction. Ce n’est pas ce que vous laissiez apparaître dans votre lettre.
- Je suis content que vous abordiez ce sujet ! Ma lettre vous a donc suffisamment touché pour que vous acceptiez mon invitation.
- Elle ne m’a pas touché. Elle m’a révulsé. Et d’y associer ce poème en a renforcé mon écœurement.
- Voilà décidément une réaction que je ne comprendrais jamais. Ces vers sont pourtant d’une beauté qui dépasse l’entendement. Je vous pensais pourtant assez au fait du monde de l’art pour en apprécier la virtuosité.
- Il n’est pas question de distinguer ou non le talent. B. a du talent, c’est incontestable. Ça ne m’empêche pas de blâmer de celui-ci.
- Qu’as-t-il donc de si abominable ?
- Le sujet, les sous-entendus. Et dans ce cas précis, le fait que vous me l’ayez envoyé en étant persuadé qu’il me convaincrait de vous rejoindre. Je n’ose imaginer ce qui vous est passé par la tête à ce moment.
- Mais n’avais-je pas raison finalement, puisque vous êtes là ? Quant à ce qu’il me passait par la tête alors, c’est la même chose qui la traverse sans arrêt depuis que nous nous connaissons. Et quand à votre goût si visible pour cette œuvre superbe, voilà qui confirme ce que je pensais. Seuls ceux qui ne parviennent à produire que des vers médiocres sont réellement sensibles à l’aptitude des autres. C’est mon cas. Croyez bien que sinon, j’aurais été prêt à vous envoyer un poème de mon crû. Mais enfin, je ne sais pas pourquoi je tergiverse, vous êtes venu, n’est-ce pas cela qui compte ?
- Non. Car je ne suis pas venu animé par les bonnes intentions que vous me prêtez visiblement.
- Ne me pensez pas plus naïf que je ne le suis. Vous n’avez jamais éprouvé que de l’animosité à mon égard, votre attitude en ma présence n’a jamais été que froideur.
- C’est vrai, cette soudaine lucidité est encourageante. Si j’ai accepté de vous retrouver, c’est uniquement pour vous dissuader de vouloir me rencontrer à nouveau.
- Je m’étais attendu à quelque chose de ce genre. Ça ne m’en désespère pas moins.
- Cela m’importe peu. Je ne suis pas venu pour vous ménager. Je veux que vous cessiez définitivement de vouloir entrer en contact avec moi. Si j’ai accepté votre rendez-vous, c’est uniquement pour que ceci soit clair dans votre tête. Je ne veux plus vous voir, jamais.
- Pourquoi ? Me haïssez-vous à ce point ?
- Je ne vous hais pas. Si j’éprouvais de la haine pour vous, je m’interrogerais davantage. Je n’éprouve rien pour vous.
- Vous venez de réduire à néant mes espoirs. J’aurai tant aimé en effet que vous éprouviez pour moi… Une haine, sous quelque forme que ce soit. La haine est un sentiment admirable…
- Cessez tout de suite, je vois très bien où vous voulez en venir.
- … Admirable parce qu’il peut si rapidement déboucher sur un autre sentiment. Un sentiment encore plus étourdissant, encore plus puissant, et surtout si sublime. Mais je dois vous lasser, n’est-ce pas ?
- En effet, je n’ai que trop entendu ce discours sortir de votre bouche.
- Marchons un peu, voulez-vous ? Je ne vous ai pas fait venir jusqu’ici pour rester immobile.
- Est-ce pour tenter de récréer l’ambiance de ces vers que vous aimez tant que vous avez choisi ce lieu, à propos ? Vous attendez vous à découvrir quelque cadavre en putréfaction au prochain embranchement, derrière cet arbre par exemple ?
- J’en serais fort incommodé. Mais en cela vous avez peut-être raison. Pourquoi de cette manière ne réussirai-je pas là où d’autres avant moi ont connu le succès ?
- D’autres comme votre poète fétiche, je suppose ? Quand je pense que vous affirmiez voilà un instant que tout espoir était mort en vous.
- Oui, c’est vrai. Mais ce doit être votre présence. Quand je vous ai à mes côtés, même le plus fou me paraît réalisable.
- Si cette comédie continue, celui qui perdra espoir sera probablement moi… Mais je m’y refuse, je parviendrais à me débarrasser de vous.
- Je n’ai pas la moindre envie que cette promenade dégénère en bataille rangée.
- Moi non plus figurez-vous. J’ai du mal à concevoir qu’un homme tel que vous ne puisse comprendre que la manière forte.
- Oh ! Voilà qui est nouveau, vous m’estimez donc ?
- Bien entendu que je vous estime. Vos vers sont certes mauvais mais votre prose est remarquable et j’admire votre plume.
- Ces mots me comblent.
- Dans le cas qui vous préoccupe, il n’y a pas lieu d’être comblé. Car j’estime l’artiste et non pas l’homme.
- Vous semblez atterré. Cela m’attriste. Comme si le fait d’éprouver des sentiments nous ramenait au niveau des bêtes.
- Il n’est pas question de ça.
- Alors de quoi ? N’est-ce pas justement ce qui nous différencie d’elles ? N’est-ce pas la seule chose au monde qui permette de se sentir vivant ? Sans cela, nous ne serions jamais que d'abjects cadavres. Le jour où nous cessons d’aimer, c’est que la mort a fait son œuvre.
- Je ne veux pas savoir où vous désirez en venir…
- La Nature nous a doté d’un cœur. C’est un cadeau inestimable et ne pas en user est la pire erreur que puisse faire un être humain.
- Ne pas en user est une chose, et je ne vois pas en quoi elle me concerne. L’utiliser à mauvais escient en est une autre.
- Dois-je me sentir visé par cette remarque ?
- On ne peut rien vous cacher.
- Vous êtes d’un cynisme qui dépasse l’entendement ! Il n’y a pas de mauvais amour, il peut y avoir des amours impossibles, des amours destructeurs mais jamais un amour qui ne vaille pas la peine d’être éprouvé !
- Il n’est pas question d’en valoir la peine ou pas. Je voudrais juste que vous compreniez…
- Je comprends parfaitement. A croire qu’en éprouvant ce que j’éprouve, je fais fausse route et cela me perdra à n’en pas douter. Un amour qui me consume mais décomposé avant même d’avoir été consommé. Mais dont je ne désespère pas de pouvoir goûter un jour à la forme et l’essence divine… Pourquoi n’y ai-je pas droit, alors que ce que je désire a été accordé à tant d’autres avant moi ?
- Ceci n’a rien à faire dans la conversation.
- Sans aucun doute. Cette conversation n’a sans doute même pas lieu d’être. Mais comment puis-je ne pas m’en soucier ? L’être que je désire le plus au monde possède cette qualité rare de non pas se donner un peu à tout le monde comme la plupart des hommes publiques, mais tout entier à chacun. Tout un chacun dont il semble que je ne fasse pas partie. Ce qui est sans contexte la pire déconvenue de ma vie.
- M’avoir fait venir pour me débiter tout ceci ne fera pas pencher la balance en votre faveur, sachez-le.
- Oh, mais je le sais. Le sort n’a de toute façon jamais été très clément avec moi. Il m’a certes octroyé du talent mais en échange, un physique ingrat et de la répugnance à l’égard des femmes. Qui plus est, un engouement pour les jeunes éphèbes, ce qui lorsqu’on approche de la cinquantaine est du dernier mauvais goût. Mais je suis un homme de passion, passions certes trop souvent vouées à l’échec mais qui ne m’en ont pas moins rendu vivant. Ce que je veux que vous sachiez, c’est que ma plus grande et ma plus belle ne fut jamais que pour vous.
- Croyez-vous réellement m’apprendre quelque chose que j’ignorais ?
- J’espérai vous flatter. Vous faire honneur même, pourquoi pas ? Je vous aime.
- Vous ne me flattez pas. Etre aimé de vous ne me fait ressentir aucune joie.
- Je vous dégoûte ?
- Je n’irais pas jusque là… Pour le moment. Je veux que vous compreniez que je n’ai que faire de vos attentions.
- Votre amant vous comble donc à ce point pour que mon affection vous encombre ?
- Que voulez-vous dire ?
- Ne faites donc pas l’innocent. Même si cela vous va si bien…
- Est-ce encore l’une de vos manigances ?
- Le peintre Alexandre C. ne fait-il pas votre portrait ? Et ne se permet-il pas par hasard des rapports plus… Prosaïques que ceux habituellement convenus entre artiste et modèle ?
- Qu’est-ce donc qui vous autorise de dire cela ?!
- … Sa réputation peut-être ?
- Cessez de sourire ainsi. Sa réputation qui n’est pas sans rappeler la vôtre, si je puis me permettre.
- Raillez, cher garçon, raillez. Ma réputation que vous assimilez à la sienne n’a en réalité rien de comparable, quoi que cela me plairait beaucoup. Je ne possède pas en effet le charisme de cet homme, la preuve la plus probante étant que vous semblez le préférer à moi. Mais après tout, je suis capable de le comprendre, malgré mes sentiments. Pourquoi vous contentez, avec votre beauté, d’absurdes fantoches vieux et libidineux ? Que vous préfériez à moi ce plus bel animal si viril n’a finalement rien d’étonnant.
- Vous avez décidément une bien haute opinion de vous-même… Mais cette soudaine propension à être raisonnable est rassurante.
- J’ai dis que je comprenais, non pas que j’approuvais. Cette nuance est capitale, ne criez pas victoire trop tôt.
- Il n’en est pas question, rassurez-vous. Je vous connais suffisamment pour m’éviter cette erreur.
- Voilà qui est encourageant. J’ai toujours su que les virtuoses du pinceau, même les plus hideux, étaient les plus à même de conquérir les jeunes beautés. L’admiration qu’éprouve généralement les modèles pour celui qui les immortalise doit aussi beaucoup entrer en jeu, cette attirance presque irréfrénable pour le génie… Et puis comment peut-on empêcher un artiste de fouiller l’intimité de celui ou celle qui prête son corps à ses yeux avides, comment l’empêcher d’inspecter le moindre repli de sa chair ? Quel dommage décidément que je sois si peu doué avec un pinceau, je n’ai besoin d’aucun modèle pour les êtres de papier… Et peut-être, qui sait, si j’avais été capable de troquer mes manuscrits pour une palette de couleur… Peut-être alors m’auriez-vous aimé…
- Je ne sais trop quoi vous dire. Vous êtes désarmant lorsque vous parlez ainsi.
- Désarmant mais pas désarmé hélas. Vous n’avez rien dit pour réfuter ma théorie, rien pour la conforter non plus. C. est-il votre amant ?
- Non.
- Croyez-vous réellement qu’il est utile de démentir maintenant ? Je me permets de vous détromper. Mais je comprends mieux que personne votre motivation, un seul mot indiscret et c’est toute votre vie sociale et publique qui s’achève. Pour un aussi talentueux et en vue critique d’art que vous, je ne n’imagine même pas à quel point une telle révélation serait désastreuse…
- Je n’aime pas du tout votre expression. Pourquoi donc prendre autant de temps à développer ce que je ne sais que trop bien ? Auriez-vous par hasard l’intention de me faire du chantage ?
- Ne vous énervez pas voyons.
- Que je ne m’énerve pas ? Mais comment pouvez-vous imaginer que je réagisse autrement ?!
- Je comptai notamment sur votre flegme et votre ironie.
- Je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide. Vous dites me comprendre mais vous n’imaginez pas… Non, vous n’imaginez pas ce qu’une telle divulgation aurait de catastrophique pour moi.
- Oh si, je ne le conçois que trop bien…
- Alors pourquoi ces menaces ? Qu’attendez-vous de moi grâce à cette extorsion ignoble ?
- Je vous aime. Je vous aime et je vous désire. Laissez-moi vous chérir, laissez-moi vous aimer.
- Vous êtes immonde. Il n’en est question.
- Je suis désolé, sincèrement désolé. Jamais je n’ai eu l’intention d’en arriver là. Je ne vous demande pas de comprendre, encore moins d’approuver. Concevez juste. Je ne suis qu’un homme prisonnier de ses désirs et de ses sentiments, prêt à tout pour les voir assouvis.
- Comment puis-je concevoir ? Comment malgré tout ce que vous m’avez affirmé, puis-je encore croire que vous m’aimez ? Avec ce que vous me demandez ?!
- Vous réagissez comme une femme. Je vous demande donc tant ?
- Vous avez l’air de penser que je n’ai pas compris votre signification du verbe « aimer », ce que vous entendez derrière « se donner tout entier à chacun ». Vous dites être un homme de passion mais si votre passion ne se limite qu’au corps, alors vous ne connaissez rien !
- Vous êtes bien idéaliste. Croyez-vous que c’est pour votre âme que votre peintre vous apprécie ? Le seul qui est à blâmer ce soir, c’est uniquement lui. L’âme est indissociable du corps et il est incapable de voir vos qualités d’esprit. Voilà quelqu’un qui ne connaît rien à la passion. Je vous aime, je vénère votre âme et je désire votre corps.
- Vous ne manquez pas de culot. Vous croyez vous dédouaner en rejetant vos fautes sur les autres. Voilà ce qu’est vraiment la bassesse !
- Si seulement je pouvais vous ouvrir les yeux, vous permettre de voir à quel point vous faites fausse route, vous arracher vos œillères…
- Vous êtes à bout d’arguments. Vous semblez vous croire meilleur que lui, vous vous pensez au dessus de tous. Concevez-vous que je sois capable de croire en vos belles paroles alors que vous exigez de moi ce que vous reprochez justement à C. ? Vous êtes méprisable.
- Je vous aime. La seule chose que je vous demande, c’est de me laisser vous le prouver. Si vous saviez à quel point je ne veux que vous, si vous parveniez à toucher du doigt ma détresse, alors vous m’aimerez. Et si vous m’aimez, vous me guérirez de ma lèpre et je vous donnerez plus d’amour que vous n’en recevrez jamais. Moi aussi je suis capable de « garder la forme et l’essence divine de mes amours décomposés ». Je ne suis ni poète ni peintre, je n’en suis pas moins un artiste. Mais je suis avant tout un amoureux et tout amoureux est avant tout un artiste. Et aimer est un art à part entière, si subtil, si sublime…
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 5 Juil - 23:15

- Croyez-vous vraiment que je… ?
- Je ne crois rien du tout, mon cher. Seulement en la seule chose dont je suis incapable de douter : mon amour. Si je pouvais ne serait-ce que vous montrer… Ce que je vous demande semble à vos yeux me rabaisser au niveau des bêtes. C’en est l’exact contraire. B. non plus ne fut pas compris, on lui reprochait de faire l’apologie du Mal, alors qu’il vantait et proposait à ses lecteurs le bienfait le plus précieux qui soit au monde. Le voyage, l’élévation. C’est ce que je voudrais tant partager avec vous. Rien qu’avec vous, je n’ai jamais proposé ceci à quiconque et ne le ferait jamais. Je ne veux que vous, pour toujours, mon paysage le plus désirable, celui qui le plus mérite d’être contemplé.
- Ne voulez-vous pas écouter… ?
- Ecoutez, vous. « Mon enfant ma sœur, songe à la douceur d’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, aimer et mourir au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés de ces ciels brouillés pour mon esprit ont les charmes si mystérieux de tes traîtres yeux, brillants au travers leurs larmes… ». Ces vers douloureux ne sont-ils point sublimes ? Quelles images superbes. Ils s’accordent si bien à notre cas. « Le pays qui te ressemble », « les soleils mouillés de ces ciels brouillés »… Pour vous qui êtes d’origine hollandaise, voilà encore la preuve que tout ceci concorde au mieux.
- Je constate qu’en effet vos ambitions se trouvent de moins en moins désarmées au fil des minutes.
- De votre part, il s’agit du plus beau des compliments. Tout peut devenir tel que B. le décrit, il suffit de le vouloir. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté. Luxe, calme et volupté… »
- Cessez, par pitié. La seule chose que je souhaite à cette minute est de ne plus entendre votre voix ! Enfin, je… Je ne sais pas… Je ne sais plus.
- … Oui… Enfin. Montrez moi comment vos si solides convictions s’ébranlent, comment vos fondations chancellent, la manière dont ce séisme vous agite. Laissez-vous aller, laissez-moi vous soutenir…
- Que… Que faites-vous ?! Non, arrêtez… !
- Chut… Oubliez tout. Tout ce que vous avez crû savoir un jour. Fermez vos yeux, écoutez-moi, laissez-moi vous toucher… Laissez-moi voir votre cœur, laissez-moi vous mettre à nu…
(…)
- … Je veux… Non, s’il vous plaît… ! Si quelqu’un… Si quelqu’un venait… ?
- Oui, si quelqu’un venait, nous voyait… Que verrait-il de si choquant ? Deux corps bientôt unis, bientôt indissociables. Deux âmes communiant entre elles, soudées afin de ne plus jamais devoir se séparer… Existe-t-il spectacle plus beau ?
- … M’aimez-vous ? M’aimez-vous donc réellement ?
- Cet amour est le plus réel qui soit. Vous disiez n’éprouver pour moi que de l’indifférence… Mais écoutez donc votre corps. Observez-le, entendez-le… Lui est si sincère, il ne désire que l’abandon…
- J’ai… J’ai peut-être…
- Peur ? Mais ceci est si humain, si normal. Il n’y a pas lieu d’avoir peur, mon aimé. Ton corps connaît le toucher d’un homme. Et ton âme quémande, ton âme quémande de l’amour. Un amour que personne d’autre que moi n’est capable de te donner… Laisse-toi envahir par lui. Laisse-moi t’envahir… »

¤

« - … Attends, ne pars pas !
- Pourquoi pas ? Et ne me tutoyez pas.
- Tu m’y a autorisé, j’estime en avoir le droit.
- Je ne vous ai jamais autorisé quoi que ce soit. Si j’avais été en pleine possession de ma raison, jamais je n’aurai permis ce qui s’est produit.
- Tu me flattes. J’ai donc réussi à te faire perdre la raison, rien qu’un instant ?
- Taisez-vous ! Vous avez eu ce que vous vouliez, alors même que je ne pensais pas que vous réussiriez à me faire fléchir. Maintenant, j’estime qu’il est plus que temps pour nous de nous séparer.
- Bon. Mais avant cela, dis-moi juste une chose : tu sembles vouloir me convaincre que tu n’as accepté de m’avoir en toi uniquement pour sauver ton honneur…
- Mon honneur est bien mis à mal pourtant.
- … Certes. Mais ne pourrais-tu être vraiment sincère ? N’as-tu pas cédé parce qu’au fond tu le désirais ? Et n’as-tu pas éprouvé du plaisir ?
- Je vais m’abstenir de vous répondre.
- Allons donc. Il n’y a aucun témoin, je te promets qu’il n’y en aura jamais. Laisse-toi aller à la sincérité.
- Il me semble m’être bien trop laissé aller à la sincérité durant ces dernières heures…
- Merci, cette réponse est la plus éloquente que tu aurais pu me donner. J’ai fini par m’accoutumer à ta réserve, entendre ceci me met du baume au cœur.
- Content d’avoir pu vous combler. Adieu.
- M’aimes-tu ?
- Jamais plus. Je vous hais.
- … Je n’en demandai pas tant ! »


Fin.


Un truc assez bizarre mais que j’ai néanmoins adoré écrire, ça fait une bonne récréation au milieu d’un one-shot assez sérieux et long (mais que je devrais publier sous peu d’ailleurs). Enfin, j’espère que celui-ci vous a plu !
Review ?

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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyJeu 6 Juil - 10:17

Et encore un OVNI by K21...

Comme d'habitude, j'adore ^^
c'est tellement decalé par rapport a tous les textes que je lis d'habitude, c'est un vrai bonheur...
Comme toujours, tu reussis a nous plonger en quelques phrases dans un lieu et une epoque tres precis, et malgré l'absence de toute description, on est tout de suite avec tes personnages
Et meme si l'histoire de chantage est un peu derangeante, on sent quand meme, si ce n'est de l'amour, au moins une passion partagée qui rend finalement l'histoire tres belle

encore felicitations, et j'ai hate de voir les autres ^^
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MessageSujet: Kestrel21 - update: 29/09   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyJeu 6 Juil - 14:33

ça, c'est un message vraiment plaisant!
Citation :
Et encore un OVNI by K21...
Citation :
c'est tellement decalé par rapport a tous les textes que je lis d'habitude
surtout que je ne reçois pas beaucoup de review mais qu'on me dise ainsi que c'est original, c'est vraiment trés motivant! surtout que je craignais un peu avec celui-là, je l'ai écrit d'une traite en trés peu de temps et plus je le relisais, plus il me paraissait nul et bizarre, aussi ça me fait un plaisir ineffable de voir que tu as aimé!^^
pour ce qui est du chantage, je ne comptai pas vraiment en user au début (mon idée de départ était surtout de parvenir à suggérer un lemon rien qu'en quelques phrases^^) mais que fait Baudelaire dans La charogne sinon du chantage à sa bien-aimée? ça me paressait trés naturel pour ce personnage là d'arriver à ses fins comme ça en plus...

merci encore! Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup 129d
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Dernière édition par le Ven 29 Sep - 21:45, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyDim 23 Juil - 15:49

(juste une précision : normalement, il n'y a qu'un seul topic de oneshot par auteur ^^)

J'ai beaucoup aimé. Comme le dit Mogy, c'est profondément différent de tout ce qu'on peut lire, et c'est beau, bien écrit.
Marquant, aussi, je me souviendrai de ce texte.
Le dialogue sonne très juste... je vais lire tes autres écrits *w*
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyDim 23 Juil - 16:37

Tu écris bien *w*
J'aime beaucoup ^^
Les motivations du personnage principal sont si obscures, et si claires pourtant, c'est tellement humain...
Très beau.
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMar 25 Juil - 21:12

Bah dis donc ça c'est du shot original ! @__@'
J'ai beaucoup aimé cette façon d'écrire, sans aucune description, avec un seul dialogue entre deux personnages ^^
Comme KTL, ce récit va me marquer, il est superbe ! Même su je ne suis pas addict du yaoï, j'apprécie beaucoup comment tu as fait tourné les choses.


Bravo bravo ! Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup 129ea
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMar 25 Juil - 22:51

Wahou ! C'est vraiment super bien écrit, je suis chamboulée !
Ces intentions sont dégoutantes mais en même temps très compréhensibles. Cette façon de vouloir la mort de quelqu'un, de se détester pour ça parce que c'est ignoble... Tu la décris vraiment très bien.
Tu as énormément de talent ! Encore bravo, c'est un plaisir de te lire !
Je suis époustouflée ^^
Merci !
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Juil - 21:15

merci à toutes les deux, beaucoup! ça fait vraiment plaisir de voir qu'on est lu, et surtout apprécié!^^ et plus encore que vous trouviez ça original et que ces one-shots laisseront des traces!
(KTL: oui, tu as raison, j'avais un peu oublié Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup 129i mais je vais y remédier! il faudrait que j'arrive à tous les rapatrier mais je ne sais pas trop comment faire pour ne pas perdre mes reviews...^^° si tu as une suggestion, je suis toute ouïe!)
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyMer 26 Juil - 23:40

^^
Demande à Allie de fusionner les topics xD
Comme ça tu perds rien ^^
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyVen 29 Sep - 21:36

Titre : Revenir de la gueule du loup
Auteur : Kestrel21
Statut : Achevé
Genre : Anticipation, yaoï, angst…
Disclaimer : Personnages copyright moi, ce possible futur a été imaginé dans une moindre mesure par Nostradamus, remodelé et détaillé à ma sauce. Tous les sigles, alliances et mésalliances mentionnés ne sortent que de mon imagination.
Le titre m’a été inspiré par une chanson de la Rue Kétanou « L’altitude ».


¤

Ce matin-là, un étrange pressentiment avait poussé Lars à ouvrir la fenêtre. Pourquoi aujourd’hui, pourquoi ce jour-là, pourquoi alors qu’elle n’avait plus été ouverte depuis si longtemps ? Il n’aurait su le dire.
Dehors, le ciel était gris, chargé de nuages et il ne pleuvait plus.
Il ne sut combien de temps il resta là, confondu, abasourdi, les yeux écarquillés mais quelque chose remua derrière lui. Il se retourna à peine, apeuré par sa découverte et par les conséquences qu’elle entraînerait irrémédiablement. A nouveau ce même bruit, qu’il identifia comme un froissement de drap.
Javier bougeait trop pour être réellement endormi, n’est-ce pas… ? Il hésita à peine et claqua le volet avec brusquerie, comme s’il avait voulu par ce geste effacer la vision de ce ciel redevenu clément. La chambre fut de nouveau plongée dans l’obscurité et, à tâtons, il reprit sa place contre le corps nu de l’homme.

¤

Lorsque Javier Camàra et Lars Ohlen se rencontrèrent, ils décidèrent d’un commun accord que la meilleure chose à faire était l’amour.
C’était à Libreville, dans le Gabon de l’EFC (1), en juin 2047, dans un petit hôtel déserté depuis des lustres.
Et dehors, il pleuvait.
Comme il pleuvait depuis alors plus d’une vingtaine de jours, sur l’ensemble du globe, rendant les jours indiscernables des nuits.
Lars ne savait plus depuis combien de temps il avait échoué dans ce petit bâtiment sobre et sans éclat, où le nombre de chambre se comptait sur les doigts d’une main, isolé comme seul pouvait l’être l’unique survivant d’une catastrophe écologique.
Et dehors, derrière le rideau de pluie sans cesse plus dense, ce n’était guère plus que silence. Lorsqu’à présent il lui arrivait de songer à cette période qui avait précédé l’arrivée de Javier, il n’aurait pu dire depuis combien de temps il n’avait plus réellement aperçu un être humain.
Sans doute ne saurait-il jamais ce qui poussa Javier Camàra a pousser la porte de ce petit boui-boui obscur, sans luxe ni charme. Peut-être paraissait-il, vu de l’extérieur, plus habité… Malgré le fait que son unique locataire tint davantage du spectre que d’un véritable être humain.
Lars se souvenait parfaitement de ce jour, où la porte s’était soudain ouverte sur cette silhouette haute et ruisselante de pluie. Il se souvenait avoir descendu quatre à quatre l’escalier, alerté par un bruit suspect. Ils s’étaient alors longuement dévisagés l’un l’autre, s’étaient étudiés, jaugés des yeux, le front plissé, cherchant à la manière des animaux de déterminer le degré d’hostilité de l’intrus.
Puis, comme si cet échange pourtant dénué de chaleur avait permis de faire ressurgir leur véritable nature, ils s’étaient avancés puis étreints, un geste finalement tellement empli d’humanité que chacun avait eu envie de pleurer.
Mais très vite, autre chose les avait ému. Cette soudaine proximité, celle d’un corps fait de chair qui respirait et vivait comme le leur. Une sensation qu’ils avaient oublié et qu’ils avaient à présent la possibilité de redécouvrir. Ce qui devint brusquement le premier impératif.
Leur unique échange oral fut pour se nommer l’un l’autre, et à nouveau ils se jaugèrent et s’étudièrent, non plus des yeux mais des mains, dans le lit de la chambre numéro trois.
Pourquoi donc ceci ? Pourquoi avaient-ils ressenti ce besoin irréfrénable ? Parce qu’une telle rencontre entraînait-elle forcément un pareil besoin d’intimité ? Parce qu’il s’agissait là de l’antidote au terrible isolement dont ils avaient souffert ? Comme si cet acte était un prélude de l’oubli nécessaire à leur survie… ?
Où tout simplement parce qu’ils s’étaient plu ?
Lars redécouvrit ces réveils qu’il appréciait tant, avant. Ceux où il ne se réveillait pas seul tel un gisant sur son tombeau, broyé par la réalité et au bord de mourir de solitude.

Javier ne sut jamais s’il eut préféré que Lars soit une femme. A vrai dire, cette question l’effleura à peine car malgré ses bientôt 40 ans et la position qui avait jadis été la sienne, les femmes n’avaient jamais afflué autour de lui.
Les hommes pas davantage, même jamais. Cette expérience dans la chambre numéro trois fut une première pour lui.
Lars, lui, savait pertinemment qu’il avait été ravi que Javier soit un homme. Il était en effet plus que probable qu’il n’eut pas ressenti ce si vif désir de ne plus faire qu’un avec l’inconnu dans le cas contraire. Sa première et à ce jour sa seule expérience de l’autre sexe ne lui avait pas laissé un très bon souvenir.
Et lui aussi, malgré la célébrité bancale dont il avait pu jouir, le lit de son grand appartement de Stockholm avait peu eu l’occasion de voir défiler des corps.

Par la suite, ils ne parlèrent pas. Ce mutisme avait de quoi étonner à la vue de leurs conditions respectives. Lars n’avait tenté aucune question sur ce qu’il pouvait bien se passer au dehors, Javier n’avait pas fait qu’il lui aurait permis de savoir ce que cet homme étrange faisait là, errant seul dans cet hôtel obscur, à la manière d’un revenant. Aucun d’eux ne semblait vouloir faire connaissance au delà.
Le langage du corps était jugé bien plus probant et sincère et le prénom était la clef du cœur et de l’âme.
Aucun des deux n’avait de toute façon jamais été très bavard, le silence avait toujours été un appréciable compagnon et à présent, ils en avaient un autre, qui leur ressemblait et sa présence muette et pourtant si significative était le meilleur des réconforts.
Lars n’aimait guère parler, sans doute était-ce pour cela qu’était si tôt apparue son affinité avec l’écriture.
Et Javier n’aimait plus parler. Il avait à présent la sensation d’en avoir trop dit durant sa vie et particulièrement ces dernières années et que cela n’avait jamais été un bienfait, pour personne.
Le silence que tout deux entretenait était empli de secrets et de non-dits. Voilà encore une des raisons qui les poussait à se taire, car de choses graves ou plus anodines mais qu’ils préféraient taire, leurs deux vies semblaient n’être faites que de ça.
Et pour une raison encore obscure à l’époque de leur rencontre, la dernière chose qu’ils désiraient était que leur nouveau compagnon pose sur eux un autre regard. Un regard qui jugerait, qui condamnerait peut-être… Si loin de celui si plein d’humanité et de désir qu’ils commençaient à aimer.
S’ils ne se parlaient pas, c’était aussi parce que le regard était capable de tout dire, de dire ce que des mots n’auraient pu exprimer que maladroitement, même pour un conteur aussi doué que Lars.
Les regards suffisaient en somme parfaitement, surtout pour formuler ce qui revenait le plus souvent lors de leur tête-à-tête aussi intenses que muets : « Merci. Je ne suis plus seul. »

En d’autres circonstances, aucun des ces deux hommes ne se seraient sans doute jamais rencontré. Aucun des deux n’avaient d’ailleurs jamais entendu parler de l’autre, ce qui n’avait au fond rien d’étonnant, surtout dans le contexte actuel.
Ne serait-ce que leur origine semblait devoir empêcher une réunion, et ce n’était pas qu’une question de géographie.
Même si ils venaient respectivement de deux pays aussi éloignés que la Suède et la Colombie, si opposés de part leur Histoire, leur régime, leur économie ou les espoirs de leur population. Aussi différents qu’ils l’étaient sans doute eux-mêmes, différences atténuées par leur condition et oubliées grâce au silence.
Le hasard, pour une fois, avait semble-t-il bien fait les choses. Mais une question demeurait et lorsque l’un d’eux prenait soudain une expression à la fois pensive et abattue, qu’un pli soucieux barrait alors son front, l’autre devinait immédiatement qu’il tentait d’y répondre.
Et si, au fond, tous ces évènements, tous ces dangers, tous ces morts même avaient pour finalité leur rapprochement, la découverte de la personne qu’ils cherchaient depuis si longtemps… Etait-ce alors réellement condamnable ?
Oui, bien entendu, il était impossible d’oublier ce qu’il s’était passé, plus encore d’approuver et pourtant, le doute persistait.
Et si tout cela n’avait au fond existé que pour permettre leur rencontre… ?
C’était une réflexion aisément qualifiable de kafkaïenne et c’était aussi pour cela que Lars l’appréciait. Car en plus d’être son écrivain fétiche, l’auteur du Procès n’avait-il pas été un grand visionnaire, décrivant dés 1914 la première guerre mondiale, la révolution russe, le stalinisme et le nazisme ?
Son affinité avec l’écrivain Tchèque était d’ailleurs l’une des raisons qui l’avaient amené à se retrouver ainsi, contraint à se cacher, isolé et coupé du monde d’une façon qu’il avait crû irréversible.
Tout ça parce que lui aussi, quelques années plutôt, avait eu cette prescience, cette vision d’un avenir d’autant plus terrible qu’il était proche et inévitable.
Sa seule erreur avait été d’en faire part au public en publiant son écrit. Il avait pensé rencontrer peu de résistance de la part des maisons d’éditions malgré le sujet traité. Etant depuis peu classé parmi les écrivains « à succès », les publicistes lui faisaient généralement les yeux doux pour acquérir les droits sur ses productions.
Et pourtant, il avait dû exercer une pression de tous les diables sur les épaules du directeur de l’une d’elles afin d’avoir ce qu’il désirait. Le fait que cet homme ait fait partie de ses anciennes conquêtes n’avait d’ailleurs pas été étranger à son choix. Il avait vu juste car l’affection que lui portait encore celui-ci avait sans doute pesé sur la balance.
« C’est bien parce que c’est toi, Lars. Je n’aurais accepté ça de personne d’autre… Mais attend-toi à des ennuis, c’est un vrai brûlot ! » avait-il déclaré, tel un conseiller de Louis XVI devant le Mariage de Figaro. L’étincelle qui mettrait le feu aux poudres…
Mais l’écrivain avait persisté, s’était accroché et l’autre avait fini par lâcher prise. Lorsqu’il y repensait à présent, à la lumière des évènements qui avaient suivi, Lars reconnaissait que, tout entier à son exaltation qu’il était alors, il n’avait guère songé aux conséquences.
Les remous que son livre engendra dés sa publication fin 2040 ne tardèrent pas à franchir les frontières de la Suède et à s’ébruiter chez ses voisins occidentaux. Et dans cette Union Européenne naguère si prometteuse où le militarisme faisait désormais office de religion d’état, il n’avait pas été très bien accueilli.
Tout simplement parce que dans les hautes instances, on savait pertinemment qu’il ne se trompait pas.
La censure affûta ses ciseaux, le livre fut interdit à la vente, plusieurs autodafés furent organisés dans divers pays d’Europe mais la psychose était là, elle couvait dans les esprits tandis que les exemplaires rescapés se passaient sous le manteau.
Mais tout ceci n’était au fond qu’un aspect d’une affaire plus sinistre encore et Lars n’avait finalement fait qu’exprimer à haute et intelligible voix ce qui ne se disait qu’à mots couverts.
La planète paressait au bord de l’implosion et les prémices de quelque chose d’innommable se faisaient sentir.
Jusqu’à ce que les prévisions du Suédois commencent à se réaliser, avec la première et non des moindres manifestation de la désagrégation de la fragile paix désirée mondiale. L’alliance en 2042 de trois Etats bientôt au sommet de la hiérarchie internationale, le détrônement sur le plan économique de l’Europe et des Etats Unis d’Amérique n’étant depuis longtemps plus qu’une question de temps.
La Russie, la Chine et la Corée Réunifiée, s’y étaient ajoutés certains petits pays dont le poids était dérisoire et dont l’espoir était de profiter durablement de la protection des trois géants, tels que les anti-démocratiques Laos et Birmanie.
L’Alliance de l’Est, c’est en ces termes qu’on la nommait, certains pays invités à la rejoindre, tels que l’Inde, le Japon ou Taiwan avaient préféré opter pour une prudente neutralité et d’autres à qui rien n’avait été proposé craignaient maintenant pour leur survie.
A l’image de la Mongolie, du Népal ou du Kazakhstan, enclavés qu’ils l’étaient entre deux des trois monstres et qui ne feraient certainement pas un pli si une attaque leur était destinée.
Le Vieux Continent et l’Amérique du Nord, qui avaient préféré fermer les yeux sur les signes avant-coureurs, persistaient dans l’idée que tout allait pour le mieux. Mais personne n’était dupe et le service militaire fut progressivement remis au goût du jour, entre autres réformes du même acabit tandis que l’on évoquait non sans frémir l’aide précieuse de la Corée à ses alliés de l’Est dans la course à l’arme nucléaire.
Et cela ne semblait aller qu’en s’aggravant alors qu’une nouvelle rumeur ne cessait de s’amplifier. A ses dires, les Emirats Arabes Unis, l’Iran, l’Irak et même la Turquie, éconduite depuis trop longtemps par l’Europe, grattaient à la porte de l’Alliance de l’Est.
Aucune information ne filtrait sur leur acceptation en son sein mais l’aide appréciable de l’Iran désormais équipé de la bombe atomique serait sans doute pris en compte avec sérieux.

C’était ce contexte sordide et tout ce à quoi il avait mené que Javier et Lars essayaient d’oublier, à la fois l’un prés de l’autre et chacun de leur côté, ce pourquoi ils se trouvaient là.
Lars parce qu’il en avait trop souffert. Javier parce qu’il en avait trop profité, la force de caractère nécessaire pour dire non à tous ces excès lui ayant toujours fait cruellement défaut.

¤

Quelque chose n’allait pas ce matin-là, sans que Javier put définir avec certitude de quoi il s’agissait.
Lorsqu’il avait ouvert les yeux ce matin-là, il avait comme d’habitude cherché des mains le corps de son amant et l’avait découvert assis sur l’extrême bord du lit, lui présentant son dos courbé, les yeux fixés sur la pénombre.
Javier se redressa, curieux, se rapprocha le plus discrètement possible, tendit la main et la posa sur l’épaule de Lars. Celui-ci tressaillit, du tressaillement de l’homme qui n’a pas la conscience tranquille, son expression était presque apeurée lorsqu’il croisa le regard du Colombien. Javier aurait alors juré qu’il était plus pâle encore qu’habituellement, si toute fois une telle chose était possible.
Lorsqu’il avait aperçu l’écrivain pour la première fois, il avait d’abord crû que celui-ci était malade, tant la blancheur de sa peau lui avait paru inquiétante. Lars était le premier Scandinave qu’il rencontrait et de nombreuses choses dans son apparence trahissait son origine nordique, comme sa pâleur et ses cheveux roux. Au contraire de Javier, dont la peau mate et les cheveux aussi noirs que les yeux annonçaient la parenté en Amérique Latine.
Lars par ailleurs serait passé pour blafard même auprès de ses compatriotes, il était en effet de cette blancheur qui caractérisaient les rats de bibliothèque, signe qu’il avait encore moins eu l’occasion de s’exposer au soleil que ses contemporains, signe probable également d’un manque de sociabilité.
Lorsque ce que l’on savait d’un homme se limitait à son prénom, on était prêt à se raccrocher à n’importe quel petit détail qui pourrait en apprendre davantage.
Lars semblait inquiété par quelque chose qu’il ignorait et il ne le quittait plus des yeux. Puis, sans un mot comme toujours, l’écrivain s’était brusquement retourné pour serrer contre lui son compagnon avec une force qui s’apparentait à celle du désespoir. Javier, étonné, lui rendit néanmoins son étreinte mais ses sourcils se froncèrent alors qu’il considérait la tête du Suédois, comme essayant de deviner ce qu’il se passait à l’intérieur.

¤


Dernière édition par le Sam 30 Sep - 12:29, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyVen 29 Sep - 21:38

Lars, au cœur de cet enlacement, ne savait plus. Devait-il faire quelque chose, devait-il se lever et ouvrir la fenêtre, afin que son amant constatât de lui-même la fin du déluge ? Peut-être même pourrait-il le dire… Parler enfin, rompre le silence.
Même s’il avait apprécié au départ leur décision commune de ne prononcer aucune parole, il était sans doute celui qui souffrait le plus à présent de ce mutisme forcé, peut-être parce qu’il avait finalement peu de choses à dissimuler.
Il détestait se dire cela, s’imaginer que Javier s’accommodait de cette situation car elle lui permettait de tout taire de sa vie lui était de plus en plus insupportable. Et Lars avait tellement envie d’entendre sa voix, à nouveau, ne serait-ce qu’un mot…
Les doigts de l’homme brun passaient et repassaient le long de son dos, en un geste immuable, calme et rassurant. Et Lars aimait se les représenter, il trouvait que Javier avait de très belles mains, des mains aux paumes larges et creuses, aux doigts longs et déliés, paraissant solides et équilibrées quoi qu’un peu trop grandes pour sa taille.
S’il le prévenait que la pluie ne tombait plus, il partirait, ça ne faisait aucun doute. Libreville ne pouvait être qu’une escale, en attente d’une autre destination. Khartoum probablement. Il n’était resté ici que parce qu’un nouveau départ s’était révélé impossible.
Le hasard. Tout n’était que hasard dans cet univers. Et même s’il était vraisemblable que cet intermède en sa compagnie avait plu à l’Américain, il leur faudrait bientôt repartir sur des bases plus solides que celle mouvante comme du sable sur laquelle reposait leur relation insolite. Rattraper la réalité, en un mot… Réalité qui signifierait sans aucun doute une séparation.

Penser à cela lui donnait la nausée.

¤

Si il y avait une chose à laquelle Javier ne voulait pas penser, c’était l’avenir. Plus encore que le passé, et comme tel, il ne pouvait malgré tout pas s’empêcher de l’évoquer.
Il aurait dû être à Khartoum depuis longtemps, il le savait mais n’était plus si sûr de vouloir au plus vite gagner la capitale. Il y avait plusieurs raisons à cela, plus ou moins avouables.
L’une d’elle était ces rumeurs qui courraient sur ce qu’il se passait dans l’ancien Soudan, qui ne semblaient fondées sur rien de concret mais qui faisaient immédiatement mourir le désir de s’y rendre.
A ces dires, la fièvre de la révolution avait gagné le pays, le dictateur Iman Lackan chez qui il avait prévu de demander asile venait sans somation d’être exécuté. Le Soudan n’avait jamais connu la république, la liberté d’expression et l’absence de répression. L’espoir d’un gouvernement plus démocratique qui était né lors de la création de l’EFC treize ans plus tôt, fédéré autour de la ville principale soudanaise, avait fondu comme neige au soleil comme le despote s’était contenté d’étendre son empire sur ses voisins, organisant des élections et des plébiscites truqués là où étaient espérées des alliances sous le signe de la confiance et du respect mutuel.
Iman Lackan, semblait-il, n’était plus. Le changement était dans l’air mais personne encore n’était en mesure de dire s’il amènerait la démocratie ou la guerre civile.
Tout cela, Javier l’entendit dés son arrivée à Libreville. Il avait lui-même fuit Bogota quelques heures auparavant, par peur, par lâcheté sans doute également. Il n’avait désormais plus rien à y faire et préférait ne pas songer au sort qui lui aurait été réservé s’il en avait décidé autrement.
Il avait espéré trouver un soutien auprès du dictateur Soudanais et ne savait quel crédit accorder à ces racontars sans doute amplifiés et enjolivés par la distance.
Il n’avait plus su à quel saint se vouer, il décida de se cacher à Libreville, d’attendre. D’attendre quoi ? Que le déluge cesse, que des informations de source sûre lui parviennent ? Rien et tout cela à la fois. Il avait en tout cas longuement erré sans véritable but sous ce déluge d’apocalypse, dans les rues inondées, il avait pénétré dans un hôtel, par hasard, alors que le flot venu du ciel s'accroissait jusqu’à empêcher tout déplacement…
Il avait découvert Lars, Lars qui ne savait rien de lui et qui acceptait son silence.
Non, plutôt qui supportait son silence car il le voyait bien, cet inconnu qui était devenu son amant s’accommodait de plus en plus mal de ce consensus. Le Colombien n’était pas dupe, Lars désirait parler, Lars s’attristait de ce mutisme forcé, tout dans son attitude le prouvait.
A Javier aussi ce silence commençait à peser, l’avouer lui faisait mal mais il aurait tellement aimé que Lars lui parle de lui, de ce qu’avait été sa vie, forcément si différente de la sienne.
Mais ce genre de confession ne pouvait être à sens unique, s’il désirait en savoir davantage sur cet homme pour qui il commençait désormais à éprouver davantage qu’une simple attirance, il aurait fallu que lui-même passe aux aveux. Et c’était au monde la dernière chose qu’il désirait.
Si Lars savait, il le regarderait forcément différemment, et Javier savait d’expérience que bien peu d’humains sur cette terre possédaient la grandeur d’âme nécessaire au pardon.
Il ignorait si le Scandinave en faisait partie mais préférait ne pas prendre de risque. Si Lars savait, si son regard changeait, se détournait, il avait le pressentiment qu’il ne s’en remettrait pas.
Car, et il aurait voulu le lui faire comprendre, l’autre raison qui l’empêchait de rallier son but premier, c’était lui. C’était en pensant à Lars que pour la première fois de son existence, la perspective d’un départ et donc d’une séparation lui faisait presque perdre la raison.
Pour lui qui n’avait connu ce genre de sensation qu’une unique fois dans le passé, qui plus est pour une personne qui n’avait jamais fait que manipuler ses sentiments afin de le faire filer droit, il n’avait pas grande expérience en la matière, une telle réciprocité de sentiment le surprenait réellement. Au point qu’il en doutât.
Qu’espérait-il au fond ? Que Lars se satisferait de cette situation, accepterait un nouveau départ, une renaissance, un passé qui ne compterait plus ? Il faisait sans doute partie de ces gens dont le passé était fait de précieux souvenirs qu’ils ne souhaitaient en aucun cas voir disparaître. Si c’était le cas, rien ne serait jamais possible, il ne pourrait comprendre…
Il détestait par dessus tout tergiverser ainsi. Se rappeler tout cela le faisait se sentir ignoble.
Javier était de ceux à qui la création de l’Alliance de l’Est avait profité plutôt que nuit. L’Amérique du Sud était en effet depuis des années en proie à un désordre indescriptible et la création de l’Alliance de l’Est en 2042, loin de l’atténuer, sembla en renforcer le chaos.
A l’image de l’Afrique Central, de nouveaux états fédérés s’étaient crées, ainsi l’Argentine avait réuni sous de sa coupe l’Uruguay et le Paraguay et parvenait à garder un certain contrôle de l’autorité sans avoir pour autant recours au totalitarisme. C’était une situation privilégiée dans l’hémisphère Sud, et donc rare par définition. La plupart de ses voisins ne possédaient pas cette chance. Les gouvernements se succédaient à un rythme effréné, les coups d’état se substituaient aux coups d’état, la confusion ambiante semblait devoir condamner toute tentative de stabilisation.
La cause en était probablement la peur légitime qu’inspirait les redoutables Alliés de l’Est, partout dans le monde, on affûtait ses armes avec maladresse, un pouvoir fort était de mise, et qui semblait alors incompatible avec le respect des Droits de l’Homme.
Diego Camàra semblait l’avoir compris dés le départ. Diego Camàra était de trois ans le frère aîné de Javier et possédait en sa faveur une intelligence peu commune et un esprit capable d’une logique froide et implacable. Il était l’un de ces hommes qui paressait avoir tout vu et tout compris de naissance. Il aurait pu mettre cela au service d’études brillantes mais son pays natal semblait déjà lors de son entrée dans le second cycle peu propice à l’épanouissement de son intellect. De quelque intellect que ce soit. Si la Colombie avait d’abord été connue dans le monde entier comme l’un des premiers pays exportateurs de drogue, il était à présent célèbre pour son entrée à contre-courant dans la marche à la guerre.
Tandis que la plupart des continents et des pays qui les composaient tablaient sur l’union supposée faire la force, tentaient d’oublier leurs querelles intestines pour faire face renforcés à la terrible Alliance de l’Est avec l’aide de leurs voisins, la Colombie semblait n’avoir que faire la situation internationale. A l’image du Sri Lanka et du Liban, elle s’était en effet scindée depuis de nombreuses années, suite à d’une sanglante guerre civile en deux provinces indépendantes ayant chacune leur propre capitale, Carthagène et Villaviciencio, leur propre gouvernement composé la plupart du temps des membres de guérillas rebelles ayant largement contribuées à ce schisme.
Elles n’avaient pratiquement plus aucun contact les unes avec les autres, la guerre civile eut pu éclater dans l’une sans que l’autre n’en eut rien su.
La famille Camàra était connue pour sa participation active à la vie politique de la province de Carthagène, c’est donc en côtoyant de prés cet univers que grandirent leurs 9 enfants.
Diego en était le troisième et se distingua très tôt de ses consanguins par son intelligence redoutable tout autant que par son flegme à toute épreuve. Quel que soit le chemin que prenaient les évènements, il affichait en permanence un calme imparable et son expression imperturbablement figée dans la plus absolue neutralité impressionnait tout autant qu’elle effrayait.
A l’âge où ses frères et sœurs étaient coutumiers des caprices et des pleurs à la moindre contrariété, il s’était distingué par son sérieux et son imperméabilité totale aux petits désagréments de la vie. Ses parents, au départ fiers de pouvoir présenter un enfant tel que celui-ci, si calme et mature pour son âge, ne tardèrent pas à être alarmés par cette attitude. Car Diego semblait si peu vivant, et surtout si méprisant pour le monde et les personnes qui pouvaient l’entourer, comme en témoignait son regard, empli de dédain et presque de répugnance pour tout ce qu’il rencontrait, que les personnes qui le côtoyaient se sentaient soudain ridicules et hideuses, comme un ramassis de cafards répugnants.
Il n’avait pas à l’école le moindre ami, les autres enfants le fuyaient comme la peste mais il ne s’en était jamais plaint et cela semblait ne lui inspirer que la plus totale indifférence.
Mais il ne s’était jamais plaint de rien, ne s’était jamais enthousiasmé pour la moindre petite chose et l’indifférence semblait être le seul sentiment qui l’ait jamais habité.
Tout du moins en donnait-il l’apparence. Car ses contemporains, loin de le laisser froid, lui inspiraient au fil des années de plus en plus de mépris et d’aversion. Le fait que sa famille fut très engagée politiquement lui fit progressivement prendre conscience du délabrement sans limite de l’être humain et de son pays natal en particulier. Il ressentait le désir de plus en plus gigantesque de pouvoir crier tout haut son aspiration au changements et aux réformes et même si l’heure semblait être à la liberté d’expression à Carthagène, sa voix n’aurait de toute façon jamais été entendue. Cette certitude le mettait hors de lui et s’imaginer que toutes ces personnes qu’il côtoyait de prés ou de loin se complaisaient dans l’ignorance et la passivité lui était de plus en plus insupportable.
Les nouvelles de ce qui se tramait là-bas sur le front Est éveillaient étonnamment peu son intérêt, jusqu’à ce qu’il comprenne à quel point le rôle de cette Alliance serait considérable dans les années à venir et surtout la manière dont cela lui permettrait de mener à bien le projet qui dans sa tête d’homme de 35 ans achevait de mûrir…
Le temps passant, ses rapports avec ses proches, loin de s’améliorer, semblèrent s’envenimer. Ainsi il apparut que la plupart de ses frères et sœurs, même ses aînés, étaient mal à l’aise en sa présence, voir même réellement terrifiés pour ce qui étaient des plus jeunes. Ses parents eux-même ne parvenaient pas à voir en lui autre chose qu’un animal dangereux, diaboliquement intelligent, un bâton de dynamite prêt à exploser à la moindre occasion et qu’ils avaient bien du mal à considérer comme leur fils. Cela n’inquiétait pas Diego outre mesure, cela l’amusait même, de s’apercevoir qu’il parvenait par sa seule présence à produire sur ces proches cet effet dévastateur. Cela ne pouvait à l’avenir que servir au mieux ses desseins. Mais cela l’isolait cependant cruellement et quoi qu’il n’ait jamais eu besoin de l’affection de quiconque, il ne se voilait pas la face. Car mener à bien ce qu’il avait en tête nécessitait un comparse, quelqu’un qui éprouverait de l’admiration pour lui, n’aurait surtout aucune velléité de discuter ses ordres, à la fois crédule et influençable.
Il découvrit cet acolyte désiré en la personne de Javier, son frère cadet de trois ans. Le seul de ses frères qui semblait à la fois le craindre et l’admirer. Diego le percevait à son regard et Javier savait que son aîné le voyait différemment pour cela. Comme si cette attraction répulsion que Diego lui inspirait le rendait différent aux yeux de son frère aîné. Ce fut sans aucun doute cette soudaine prise de conscience qui fit basculer Javier. Son frère, dont l’intelligence n’avait d’égal que la froideur, il était important pour cet être-là, il ne le laissait pas insensible.
C’était tout à fait l’effet que Diego escomptait produire, il ne s’était pour cela aucunement restreint quant aux signes extérieurs d’affection envers son frère. Et cela avait fonctionné, au delà même de toutes ses espérances. Le sentiment au départ trouble que Javier nourrissait à son égard céda la place à une émotion limpide comme de l’eau de roche. De l’amour, presque de la vénération. Javier prenait conscience que s’il n’existait plus pour son frère aîné, il n’existait plus du tout. Il aurait été prêt à le suivre jusqu’au bout du monde mais Diego ne lui en demandait pas tant. Qu’avait-il à faire du bout du monde, les anciennes frontières colombiennes lui suffisaient amplement et c’est là qu’il décida de concentrer tous ses efforts.
Réunifier ce pays où il avait vu le jour, refaire de Bogota une capitale influente, fédérer un peuple sous une même et commune identité. Et sous un même chef, bien entendu…
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MessageSujet: Re: Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup   Kestrel21 } Revenir de la gueule du loup EmptyVen 29 Sep - 21:41

Ils parcoururent alors le pays durant des mois, parlant et apprenant par là même l’art de la rhétorique, de la séduction. Ils rallièrent derrière eux avec une facilité déconcertante les mécontents, les nostalgiques, les malchanceux, les rêveurs. Ils se firent accepter, se firent aimer. On aimait le charisme et l’apparent détachement de Diego, on aimait la manière dont lui et Javier semblaient indissociables, on aimait la verve de Diego, ses projets qui paressaient grandioses, l’avenir que l’on entrevoyait radieux dans ses paroles. Lui qui n’avait auparavant inspiré que de la méfiance, voir de la peur à ses contemporains, il découvrait soudain que l’on pouvait concevoir pour lui de l’amour. Et cette perspective l’enivra plus que de raison, faisant redoubler son ardeur et désespérant Javier, qui voyait l’affection de son frère lui échapper, s’éparpiller avec le nombre grandissant de ses partisans.
Certains cependant aimaient moins la violence latente qui transparaissaient trop souvent derrière ses propos, ni la manière dont de plus en plus de gens suivaient à l’aveugle les deux frères, mais la plupart se contentaient de songer que ce n’était au fond que de la jalousie.
Les discours révolutionnaires de Diego attisaient de plus en plus de flammes, des braises se remettaient à rougeoyer là où il n’y avait jadis que des cendres. On avait confiance, on était prêt à tout.
Dans la province de Carthagène comme dans celle de Villaviciencio, ils avaient leurs partisans. Ce qui finit par inquiéter l’homme qui siégeait alors au palais de Villaviciencio, où avait été restauré une sorte de royauté depuis le schisme de 2013, dont le tenant du titre, sans aucune légitimité, tirait les rênes avec maladresse. Il voulut envoyer des troupes pour arrêter ces importuns dont la popularité ne cessait de croître mais comme jadis en Russie, elles se lièrent à la foule, clamant le nom de Camàra. Diego était parvenu à les convaincre qu’ils en avaient plus qu’assez de ce petit tyran minable dont la plus grande gloire avait été faire augmenter la taxe sur la culture de la coca.
Et la plupart l’avait suivi, sans y réfléchir à deux fois. Le monarque abdiqua sans condition sous la menace d’une révolution qui lui coûterait sa tête. Et la place vacante ne tarda pas à trouver preneur…
Diego s’y installa avec la bénédiction de la ville entière, Javier fut nommé d’office premier conseiller. On s’en étonna, lui qui avait juré de promouvoir la république… Mais on se convainquit rapidement que Diego savait ce qu’il faisait, on avait de toute façon du mal à s’imaginer qu’il puisse agir en fonction de ses seuls intérêts personnels.
Ce fut pourtant ce qui se passa. L’armée que Diego avait rallié à lui presque aussi facilement que la population, et qui végétait depuis des années en s’accommodant tant bien que mal de jouer la police, trouva définitivement son maître en la personne de l’aîné des Camàra.
Qui persuada sans mal le général de brigade vieillissant Don Alirio Moscote de lancer une offensive sur la province de Carthagène. Celui-ci avait en effet très mal vécu le schisme colombien et la période de stagnation qui avait suivi sous l’égide du tyran minable et sans envergure qui les avait gouverné durant presque 30 ans. Les idées de Diego, son dynamisme et son désir de réunification le séduisirent d’emblée. Ce fut dés lors un jeu d’enfant.
Le 28 septembre 2037, l’armée de Diego, guidée par Don Moscote, entra en territoire carthaginois. Une semaine plus tard à peine, ils pénétraient dans la capitale.
La surprise avait été totale et n’avait laissé aucune place à la réflexion et à l’organisation nécessaire à la défense, Diego ayant avec justesse tablé sur l’impossibilité de communication entre les deux états pour produire un tel effet.
Et cela fonctionna, au delà même de ses espérances. Trois jours plus tard, Javier lui-même, Diego derrière lui observant chacun de ses mouvements, logea une balle dans le dos du président de la république Prudencio d’Amaranta, au moment où celui-ci tentait de s’enfuir par la fenêtre de sa chambre.
Bogota fut réinvestie en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. La frontière entre Carthagène et Villaviciencio tomba dans le même temps.
Le premier clash eut lieu lorsque leur père, dont la maison avait été incendiée (volontairement ou non…) par l’armée levée par ses propre fils, se rendit furibond à la maison présidentielle réquisitionnée.
Diego le laissa entrer par principe mais n’entendit rien aux plaintes de son géniteur, qu’il ne considérait déjà plus comme tel. Etonnement, le fait de se sentir aimé comme il l’était de sa population lui avait fait perdre toute notion d’humanité. Pour autant qu’il n’en eut jamais possédé.
Il avait en tout cas adoré voir son père tenter de masquer la terreur que lui inspirait son propre fils, au point qu’il en termina avec sa diatribe en quémandant timidement un poste ici sous son joug.
La seule et unique chose qui eut pu empêcher Diego d’en finir avec lui aurait été la présence de sa mère, qu’au fond de lui il avait toujours aimé. Mais il apprit à cette occasion qu’elle était morte quelques semaines plus tôt, victime d’une chute dans un escalier.
Il concéda l’hospitalité à l’auteur de ses jours et envoya Javier dans sa chambre, armé du même revolver qui lui avait servi à en finir avec Prudencio d’Amaranta.
Et il continua, jusqu’à ce que tenir une arme et en user devienne pour lui une seconde nature.

¤ ¤ ¤ ¤ ¤

Javier ne cessait jamais de songer que le monde pouvait se vanter d’avoir de la chance. Car lorsque l’Alliance de l’Est déclara, le 22 mai 2046 la guerre à l’ensemble de l’Occident, tout ceci semblait voué à se terminer au plus mal. Une bombe sale explosa plusieurs jours plus tard dans le métro parisien, une autre presque simultanément dans une rue de Los Angeles. Les victimes furent malgré tout peu nombreuses mais ce n’était qu’un avant-goût déjà particulièrement morbide de ce qui se préparait. L’Alliance de l’Est faisait volontairement filtrer différentes informations, de sources toutes aussi diverses sur l’endroit où se produirait la troisième explosion atomique de l’Histoire.
Canberra, le 23 juillet à neuf heures, non, New Delhi, le 24 à vingt et une heures… Rio de Janeiro, le 5 août à dix-huit heures… ? Les pièces s’assemblaient sur le jeu d’échec et la menace que représentait l’incertitude planait sur l’ensemble d’un camp, qui songeait déjà à organiser les représailles. L’explosion du conflit était imminente autant qu’inévitable et c’est la ville tanzanienne de Dodoma qui en subit la première les terribles dommages, le 3 septembre à onze heures. Le nombre de victimes furent innombrables, la ville séchée sur pied.
Dans l’urgence, la ville chinoise de Dunhuang fut choisie pour la riposte le plus arbitrairement du monde et sans doute eut-elle explosé si la Chine n’avait pas une journée avant la mise à feu déclaré quitter l’Alliance de l’Est et se retirer du conflit. L’incompréhension fut totale, autant du côté de ses alliés que de ses ennemis. Une nouvelle Drôle de guerre vit le jour, la terreur succéda à un soulagement que l’on avait deviné de courte durée. C’était impossible, cette reddition n’avait aucun sens, cela ne pouvait que laisser supposer que quelque chose de pire encore se tramait dans l’ombre.
L’absence totale d’information sur ce que tout ceci pouvait bien signifier ne faisait qu’augmenter la psychose. Mais les jours, les semaines passaient sans que rien ne s’échappe des frontières de l’Empire du Milieu, que ce fussent bonnes ou mauvaises nouvelles. Le pays s’était fermé, mis lui-même en quarantaine et les raisons en apparurent plus tard, non pas de l’initiative chinoise, mais grâce à la petite île indonésienne de Lombok, qui comptait entre autre un certain nombre de ses ressortissants.
Des témoignages de familles dont certains membres étaient demeurés au pays mais aussi et surtout des Chinois ayant passé la frontière pour les rejoindre, emportant avec eux ce qui tenait davantage de la malédiction que du phénomène naturel.
Allait ainsi pouvoir se propager l’une des plus violentes pandémies des siècles passés, présents et futurs. Sa voie de transmission virale avait la force de l’évidence mais le temps de deviner comment limiter les dégâts, elle envahissait progressivement et avec une effarante rapidité le continent asiatique et océanique. Dans l’urgence, les scientifiques s’attelèrent à son identification et la réaction brutale de fermeture de la Chine au reste du monde parût alors on ne peut plus évidente. Les dirigeants Chinois, retirés à Pékin, qui se devaient de rendre des comptes à présent que ce nouveau fléau avait entériné le premier, avouèrent n’avoir pris aucune conscience de l’ampleur de cette maladie qui sévissait déjà dans les campagnes puis avait gagné les villes et la Cité Interdite en l’espace d’à peine quelques mois.
Trop occupés à servir les desseins expansionnistes de son gouvernement, le président de la République Populaire déclara à reculons n’avoir rien vu des souffrances et rien entendu des cris désespérés de sa population si nombreuse. Aucun signe de repentance ne fut visible dans ses paroles, ce qui choqua l’opinion publique occidentale mais n’arrêta pas pour autant l’effroyable machine.
Car le 14 novembre 2046, D6G20, connu également sous le nom de « fièvre incarnate » (2), débarqua sur le continent noir. Le premier cas fut repéré à l’Est, dans la ville de Djibouti. Le premier ici d’une longue série, la continuité d’une autre, plus interminable encore…

Depuis Bogota, Diego suivait cela d’un œil indifférent, Javier et lui continuant sans plus de soucis leurs exactions, persuadés comme tous les chefs d’Etat du continent américain être protégés dans une moindre mesure par les deux océans qui les encerclaient. La quasi totalité des vols d’avions ayant été annulé pour éviter au virus d’envahir le territoire, on se croyait à l’abri mais aucun pays n’était suffisamment équipé pour se suffire d’un régime autarcique… Il fallut se résoudre à réimporter des produits. Peut-être après tout les produits alimentaires ne risquaient pas de transporter le virus… Même si par mesure de prévention, les produits asiatiques furent boudés.
Cela bien entendu ne suffit pas. Le premier cas de fièvre incarnate fut repéré au Mexique. Dés lors, l’expansion ne connut plus de frein. De même qu’elle avait gagné l’Europe plusieurs semaines plus tôt, la maladie ne semblait pas désirer s’arrêter. Même si l’Europe, l’Amérique du Nord, le Japon et d’une manière générale les pays qui possédaient sinon les moyens d’enrayer la pandémie, au moins la possibilité de lui éviter de s’étendre de manière totalement incontrôlée affichaient un chiffre moindre de contaminations et surtout de morts.
Ce n’était hélas pas le cas de la plupart des états, auxquels la situation, de plus en plus dramatique au fil des jours, échappaient complètement, faute de renseignements et surtout d’argent.
Le virus ne fut pas long à atteindre la Colombie. Faute de mieux et comme presque partout dans l’hémisphère Sud, les rues ne désemplissaient plus de brasiers allumés à la hâte pour brûler les cadavres, la fumée épaisse, âcre et pestilentielle devint presque une habitude respiratoire. Les familles éplorées (elles étaient sans cesse plus nombreuses) désirant rendre à leurs morts un dernier hommage en étaient empêchées, parfois violemment. Les combats de rue étaient de plus en plus fréquents et on ne pouvait guère plus réprimer l’escalade de la violence que celle de la maladie.
Malgré les efforts déployés par la milice de Diego, ou peut-être à cause d’elle, le mécontentement et la peur s’amplifiaient, l’explosion était imminente.
Le 4 mars 2047, Javier tenta de convaincre son frère d’abandonner le pouvoir et de gagner l’EFC avec lui, et profiter de leur appui politique à Khartoum. Diego refusa avec son habituel flegme mais le poussa néanmoins à partir. C’est donc la mort dans l’âme que Javier s’envola seul pour Libreville.
Le 5 mars, une foule de manifestants de tout âge et de tout sexe envahit les rues de la capitale et se fraya un chemin jusqu’à la résidence des deux frères. L’empêcher d’en forcer l’entrée demeurant un vœu pieux, Diego bien que sachant pertinemment le sort qui l’attendait, laissa faire. Il n’avait de toute façon plus aucune raison d’espérer, le diagnostique de son médecin personnel ayant été formel quelques jours auparavant. Entre mourir de la fièvre incarnate ou debout contre le poteau d’exécution, il ne savait trop que choisir. On le séquestra, on le jeta en prison en attente de son procès. C’est là qu’il s’éteignit, rongé par la maladie, le 12 avril.
C’est ainsi que la régence des frères Camàra s’arrêta, sans plus de raison qu’elle n’avait commencée.

¤

Javier en venait à souhaiter que cette maudite pluie ne cesse jamais plus. Elle s’abattait sans distinction sur l’humanité, la libérait de ses pêchés tout autant que de ses cadavres, grossirait les océans, les transformeraient en charniers, changeraient les forêts et les plaines en marécages boueux, les déserts les plus arides en prairie luxuriantes.
Ce petit hôtel était leur Arche, à lui et Lars. Si la pluie cessait, il lui faudrait le quitter…

Où était Lars ? Javier ressentait à cette minute le terrible besoin de le prendre et de le serrer brutalement contre lui, de toutes ses forces, comme pour conjurer son absence future.
Il allait se lever du fauteuil dans lequel il s’était terré des heures durant, la tête entre les genoux, ressassant de sombres pensées, dans l’obscurité de la chambre numéro trois.
Des bruits de pas lui firent lever la tête avec espoir, il distinguât la silhouette connue de son amant, qui lui parût comme floue, troublée par la distance pourtant réduite, comme s’il s’apprêtait à tout instant à disparaître.
Il voulu faire un geste, une invite de la main, un simple sourire, n’importe quoi. Mais il n’y parvint pas et se contenta de le fixer. Il vit Lars s’approcher, de plus en plus prés, s’immobiliser en face de lui. Puis, sans que rien ne prémédita son geste, il commença à ôter ses vêtements.
Naturellement, sans ne rien faire de plus pour rendre ce moment plus érotique, sans même regarder Javier. Mais celui-ci le regardait, de tous ses yeux qui perçaient à présent l’obscurité aussi sûrement que ceux d’un chat. Il aurait même aimé à cet instant n’être plus qu’un œil immense, un organe oculaire suffisamment gigantesque pour ne rien perdre de ce moment, un de ceux qu’il passerait et repasserait dans la lanterne magique de son esprit sans doute jusqu’à la fin de ses jours.
Une fois nu, l’homme roux s’approcha plus prés encore et se coula contre le corps du Colombien, chez qui ce contact ne tarda pas à faire naître une érection.
Lars l’embrassa et il y avait comme un arrière-goût de désespoir dans ce baiser. Javier en appréhendait la raison et son cœur se serra douloureusement. Mais bientôt les mains de son compagnon jouaient avec les boutons de sa chemise, avec ceux de son pantalon, sa propre bouche s’amusait maintenant sur cette peau si pâle et il n’y pensait plus.
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